« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Clara ou le bon accueil princièrement récompensé


 

 

(Drame lyrique en deux actes) 

 

Premier acte 

La scène représente la grand-place d’un modeste village. Un vieillard péniblement appuyé sur un bâton vient d’y arriver. Des enfants, les uns goguenards, les autres pitoyables, contemplent le bonhomme et l’entourent. 

 

LES ENFANTS, animés de sentiments divers. 

Où vas-tu, blanc vieillard, par ces tristes novembres ? 

Cherches-tu quelque endroit où reposer tes membres ? 

Vas-tu chez l’Espagnol ou bien chez le Kroumir ?

LE VIEILLARD, bien las, si las... 

L’épave choisit-elle un lieu pour y dormir ? 

Que sais-je ? Ah ! mes enfants, voici la nuit qui tombe, 

Peut-être, au lieu d’un toit, trouverai-je une tombe ! 

PREMIER ENFANT, hypocrite. 

Pourquoi ne viens-tu pas, alors, chez mes parents ? 

(Demande à mes amis qui s’en portent garants) 

Ils te réserveront une place à leur table. 

DEUXIÈME ENFANT, rageur, au premier. 

Dis plutôt, camarade, une place à l’étable

Car ton père fort dur et ta mère sans coeur 

Recevront ce pauvre homme avec un air moqueur.

TROISIÈME ENFANT, fier. 

Vieillard, viens chez mon oncle. Il est garde champêtre. 

Vois ces riches troupeaux qui s’en vont aux champs paître : 

À leurs maîtres, il peut dresser procès-verbal. 

QUATRIÈME ENFANT, cossu. 

Papa tient cabaret, épicerie et bal. 

Chez lui, sans crainte, avant de reprendre ta route, 

Ô pâle voyageur, viens-t’en boire une goutte. 

CINQUIÈME ENFANT, une petite fille. 

Vivant d’une pension de veuve de sergent, 

Ma mère, cher Monsieur, n’a pas beaucoup d’argent. 

Mais, ce qui vaut bien mieux, elle est jeune et jolie.

LE VIEILLARD, enthousiaste, à la petite fille. 

De tous ces galopins, c’est toi la plus polie, 

Blonde enfant ! Conduis-moi jusques à ta maman 

Car (je le sens déjà) je l’aime énormément. 

Le vieillard, tenant l’enfant par la main, s’éloigne dans la direction de la maison de la petite. – Rideau. 

Fin du premier acte 

 

Deuxième acte 

La scène représente un perron orné d’une vigne vierge rouge, devant une maison rustique. Au lever du rideau, ils sont rangés là, tous les trois, le vieillard tenant dans sa main gauche la main de l’enfant et, du bras droit, enlaçant la taille de la jeune femme qui (la petite fille n’a nullement exagéré) est en effet fort jolie.

 

LE VIEILLARD, véhément. 

Accourez tous, enfants, vieillards et hommes mûrs ! 

Celui que vous voyez aujourd’hui dans vos murs 

N’est pas – et tant s’en faut ! – ce qu’un vain peuple pense. 

La bonté, tôt ou tard, trouve sa récompense. 

Désignant la jeune femme. 

J’épouse cette dame au si charmant accueil. 

Pour elle, ils sont finis, les sombres jours de deuil ! 

Il l’embrasse. 

Du bonheur mérité, Clara, voici l’aurore !

Il la rembrasse. 

Qu’un beau soleil d’amour te caresse et nous dore ! 

Il l’embrasse de nouveau ; puis, comme devenu la proie subite d’une inconcevable frénésie, il arrache sa perruque, sa fausse barbe et les guenilles dont il était revêtu. Il apparaît alors en joli homme, sanglé dans une tunique de la meilleure coupe avec, sur la poitrine, les palmes d’officier d’Académie, et au côté, une épée administrative. Puis, il s’écrie : 

Si haut placé qu’il soit, honte à celui qui ment ! 

Je suis le sous-préfet de l’arrondissement. 

Tableau – Rideau 

 

FIN   

Alphonse Allais