« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PRINTEMPS


 

 

 

 

Cette petite bouche liquide en forêt

s’appelle une source mais c’est vraiment

une bouche liquide gardant tous les secrets

de ce qui s’est passé ici, disant dans le langage

non grammatical de l’eau que le ciel était jadis plus

proche et qu’un fragment d’étoile calcinée a fait

    bouillir son eau.

Cette bouche liquide est ici depuis l’âge  de glace

avec ses millions d’yeux mobiles elle a vu deux

    créatures

mourir, un ours chauve très âgé qui s’endormit

et ne sut jamais qu’il mourait, et une Indienne

qui plongea dans son visage fiévreux en décidant de

respirer l’eau. Cette déesse prend grand plaisir

à sa propre débâcle printanière, elle aime voir le coyote

bondir à deux mètres de haut pour attraper une

humble souris, ou refléter cent mille lunes brillantes,

dormir sous un épais manteau neigeux ou sentir

le museau de toutes ces créatures assoiffées ;

jusqu’à l’homme assis sur le sol de la forêt savoure

la pureté de cette langue qu’il espère un jour apprendre.

Jim Harrison / Une heure de jour en moins