« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Deux ébauches


 

 

En hommage au poète Pierre Delisle

 

 

On a vécu ainsi, vêtu d’un manteau de feuilles ;

puis il se troue et tombe peu à peu en loques.

 

Là-dessus vient la pluie, inépuisable,

éparpillant les restes du soleil dans la boue.

 

Laissons cela :

bientôt, nous n’aurons plus besoin que de lumière.

 

 

………………..

 

    Oui : c’est la lumière qu’il faut à tout prix maintenir. Quand les yeux commencent à n’y plus voir, ou rien que des fantômes, rien que des ombres ou des souvenirs, il faut produire des sons qui la réservent, radieuse, dans l’ouïe. Quand celle-ci défaille, il faut la transmettre par le bout des doigts comme une étincelle ou une chaleur. Il faut essayer de croire que, de ce corps de plus en plus froid et fragile (dont souvent on aimerait mieux se détourner) est en passe de s’enfuir à tire-d’aile une figure invisible dont nos oiseaux familiers, le rouge-gorge, la mésange, ne seraient que les turbulents ou craintifs reflets dans ce monde-ci.

 

    Une fois toute repliée la lumière du monde

    qui nous empêchera d’aimer encore la servante invisible

    commise au soin de ces piles et de ces plis ?

Philippe Jaccottet / Après beaucoup d’années