« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Visite de la nuit


 

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Terrasse ou balcon, je posai le pied

A la place exacte où l’on sait toute chose,

 

 

J’attendis longtemps, gêné par mon corps,

Il faisait grand jour et l’on approchait.

 

 

C’était bien la Nuit convertie en femme,

Tremblante au soleil comme une perdrix,

 

 

Si peu faire encore à son enveloppe

Toute errante en soi, même dans son cœur.

 

 

Quand il m’arrivait de faire des signes

Elle regardait mais voyait ailleurs.

 

 

Je ne bougeais plus pour mieux la convaincre

Mais aucun silence ne lui parvenait.

 

 

Ses gestes obscurs comme ses murmures

Toujours me voulaient d’un autre côté.

 

 

Quand baissa le jour, d’un pas très humain

A jamais déçu, elle s’éloigna.

 

 

Elle rejoignit au bout de la rue

Son vertige ardent, sa forme espacée.

 

 

Comme chaque nuit elle s’étoila

De ses milliers d’yeux dont aucun ne voit.

 

 

Et depuis ce jour je cède à mes ombres.

Jules Supervielle / Les amis inconnus