« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Tomber de Rideau


 

 

 

Acte 3

 

 

Avec les doigts rougis de sang ne serait-ce plus que le mien

je trace des signes sur des miroirs retrouvés dans des maisons

béantes des portes des écrans et des tubes au néon échappé

Il y a partout autour de moi

ce grand brouillard et ce parfum d ‘humanité perdue

J’ai beau me dire que je ne suis pas le seul où sont donc les rires

et les enfants qui les portaient si bien

Des gestes de danses primitives sans cesse esquissées

 

 

 

des murmures perdus et que je tente mains unies

de recueillir comme je le faisais bien avant

Avant avec l’eau des fontaines

J’inscris les mots dans les pièces intactes de mon esprit

peu nombreuses continuellement

dérangées par les déménagements et les dernières secousses

sous mes pas

sol qui se lézarde sanglot du sol tremblement

 

 

 

qui hoquette et vomit des glaires ioncandescents

L’incertitude des lieux que je hante

les morceaux de pelouses les fruits gâtés

tous ces tombeaux ouverts aux marbres impeccables

Nous avons nagé toi et moi dans des eaux vertes

où les poissons étaient des pierreries aux yeux d’or

Nous avons espéré un peu tout de même

alors que nous savions les premiers ébranlements amers

 

 

 

les gestes déplacés

les nuages chimiques et toutes les fissions

Dieu avait balayé la pièce fermé la porte et jeté la clé

Depuis longtemps déjà

Allons mes doigts

allons donc jusqu’au bout dire le peu que je sais encore

Tu avais des seins pleins d’un lait qui n’a jamais servi

et ta voix m’embrassait bien mieux encore que tes lèvres

Quel autre homme peut témoigner de cela  

Philippe Claudel / Tomber de Rideau