« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Tu ne m’as pas encore eu cette fois, la vieille


 

 

 

 

Tu ne m’as pas encore eu cette fois, la vieille.

Je t’avais vue venir avec tes gros souliers.

À force de me voir faire la sourde oreille

Tu t’es aventurée jusque sur mon palier,

J’ai su que c’était toi, alors j’ai pris la fuite.

J’avais quelques amis comme gardes du corps,

Tu m’as suivi de loin pour attendre la suite,

Tu as perdu ma trace et moi je cours encore.

 

Des gens que tu fréquentes assidûment, la vieille,

Mais qui ne t’aiment pas, qui te craignent surtout,

Qui se méfient de toi, la nuit, qui te surveillent.

Je les ai vus venir et j’en ai vu beaucoup,

Ils ont des blouses blanches et parlent à voix basse,

Employant à dessein des termes inconnus.

J’ai cru mon temps venu de partir à la casse,

Toi aussi, j’en suis sûr, mais je suis revenu.

 

Tout au long des couloirs je voyais ta figure

Toujours en transparence, sur des masques éteints

De vieillards jaunâtres sous les couvertures,

Et je reconnaissais ton rictus de catin.

Tu as raté ton coup cette fois-ci, ma vieille,

Je sais que ta patience est au-dessus de tout,

Que tu voles partout comme une grosse abeille,

Et tu me piqueras, peut-être au prochain coup.

 

 

 

Avril 81.

Bernard Dimey / Je ne dirai pas tout