« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Certains sont japonais


 

 

 

 

À l’automne ils s’envolent.

Ils gagnent l’équateur, ils pénètrent si loin qu’ils n’ont rien à manger.

Ils reviennent si tôt qu’ils ont froid et qu’ils meurent.

Qu’ils ont faim et qu’ils meurent.

Ils meurent deux fois, dix fois.

Certains sont sédentaires et certains migrateurs.

Leurs ailes courtes volent mal.

Certains sont japonais.

Ils volent deux milles, cinq milles, dix milles. Sans se poser.

Que cherchent-ils ? On cherche.

Leur chemin est celui des glaciers.

Au moment du départ, l’air est troublé mais vide.

Même en cage ils s’agitent.

 

Vivent dix ans, vingt ans, trente ans.

Ne s’assoient pas. Ne dorment pas non plus.

Leurs ailes manquent de mains.

Leur bouche manque de dents.

Leur ventre de vessie.

Réduit à un cloaque.

De cloaque à cloaque ils copulent.

Ainsi sont-ils légers.

Légèreté les mène.

Les mène loin et haut.

Quand ils sont abattus, si leurs poumons sont pleins de sang, 

                        ils respirent par les os de leurs ailes.

Prolongent leur vie d’autant.

Leur souffrance d’autant.

La mort quand même vient.

 

Tous ne sont pas en l’air.

Pas obligés.

Certains creusent des trous, certains nagent, certains grimpent.

Ne quittent pas leur arbre ou seulement pour leur toilette.

Qui dure, qui dure.

Le plus souvent furent massacrés.

Autrefois ils étaient abondants.

Obscurcissaient le ciel.

Mais l’orage vient d’en bas, au contraire des croyances.

L’orage les a exterminés, vendus en vrac sur les marchés, peau

                                         morte, viande inutile.

Les a jetés aux porcs, transformés en engrais.

On les nommait comment déjà ?

Paradisiers ?

Marie Etienne / Roi des cent cavaliers
Photo : Marie Etienne par Kellermann92