« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE CINQUIÈME POÈME VISIBLE


 

 

 

 

Je vis dans les images innombrables des saisons

Et des années

Je vis dans les images innombrables de la vie

Dans la dentelle

Des formes des couleurs des gestes des paroles

Dans la beauté surprise

Dans la laideur commune

Dans la clarté fraîche aux pensées chaude aux désirs

Je vis dans la misère et la tristesse et je résiste

Je vis malgré la mort

 

Je vis dans la rivière atténuée et flamboyante

Sombre et limpide

Rivière d’yeux et de paupières

Dans la forêt sans air dans la prairie béate

Vers une mer au loin nouée au ciel perdu

Je vis dans le désert d’un peuple pétrifié

Dans le fourmillement de l’homme solitaire

Et dans mes frères retrouvés

Je vis en même temps dans la famine et l’abondance

Dans le désarroi du jour et dans l’ordre des ténèbres

 

Je réponds de la vie je réponds d’aujourd’hui

Et de demain

Sur la limite et l’étendue

Sur le feu et sur la fumée

Sur la raison et sur la folie

Malgré la mort malgré la terre moins réelle

Que les images innombrables de la mort

Je suis sur terre et tout est sur terre avec moi

Les étoiles sont dans mes yeux j’enfante les mystères

À la mesure de la terre suffisante

 

La mémoire et l’espoir n’ont pas pour bornes les mystères

Mais de fonder la vie de demain d’aujourd’hui.

Paul Éluard / Le dur désir de durer (1946)