« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

SECONDE NATURE


 

 

 

 

En l’honneur des muets des aveugles des sourds

À la grande pierre noire sur les épaules

Les disparitions du monde sans mystère.

 

Mais aussi pour les autres à l’appel des choses par leur nom

La brûlure de toutes les métamorphoses

La chaîne entière des aurores dans la tête

Tous les cris qui s’acharnent à briser les mots

 

Et qui creusent la bouche et qui creusent les yeux

Où les couleurs furieuses défont les brumes de l’attente

Dressent l’amour contre la vie les morts en rêvent

Les bas-vivants partagent les autres sont esclaves

De l’amour comme un peu l’être de la liberté.

 

 

Aux grandes inondations de soleil

Qui décolorent les parfums

Aux confins des saisons magiques

Aux soleils renversés

Beaux comme des gouttes d’eau

Les désirs se dédoublent

 

Voici qu’ils ont choisi

Les tortures les plus contraires

Visage admirable tout nu

Ridicule refusé comme rebelle

Dépaysé

Tournure secrète

Chemins de chair et ciel de tête

Et toi complice misérable

Avec des larmes entre les feuilles

Et ce grand mur que tu défends

Pour rien

Parce que tu croiras toujours

Avoir fait mal par amour

Ce grand mur que tu défends

Inutilement.

 

Sous les paupières dans les chevelures

Je berce celles qui pensent à moi

Elles ont changé d’attitude

Depuis les temps vulgaires

Elles ont leur part de refus sur les bras

Les caresses n’ont pas délivré leur poitrine

Leurs gestes je les règle en leur disant adieu

Le souvenir de mes paroles exige le silence

Comme l’audace engage toute la dignité.

 

Entendez-moi

Je parle pour les quelques hommes qui se taisent

Les meilleurs.

Paul Éluard / L’AMOUR LA POÉSIE (1929)