« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LES FUSILLEURS


 

 

 

 

Pour Simone Marty

 

La sentence fut rendue par un début de Mai qui annonçait les beaux-jours : à mort les jonquilles !

Il fallait un exemple. Les techniciens consultés désignèrent une bordure de bois, près d'Auvers, pour inaugurer la répression ; l'insolente profusion des fleurs sauvages dans ce champ méritait la priorité.

Un samedi, le camion gris-vert qui emmenait le peloton quitta Paris à l'aube. On mangera peut-être du lapin, dit l'adjudant à ses hommes.

L'exécution se déroula selon le cérémonial traditionnel. A vingt-cinq mètres devant les condamnés, le sous-off lut l'arrêt de mort dont l'essentiel tenait en ceci : les jonquilles se moquaient par trop des règlements en vigueur. En outre, à quoi servaient-elles ?

Les fleurs ne semblaient pas deviner leur sort ; en tout cas, rien n'indiqua qu'elles aient manifesté le moindre effroi.

Le peloton se forma : douze hommes munis d'armes instantanément mortelles, qui nous avaient valu un joli brin de considération sur le plan international. L'adjudant, lui, ne possédait qu'un sabre ; il le leva.

C'était par une matinée où la terre et le ciel paraissaient avoir conclu un arrangement. Ça embaumait au renouveau du soleil. Les bruits ne se déplaçaient qu'à pas de loup. 

Le sabre trancha l'air paisible. Le père Lathuille qui amorçait soigneusement, dans l'Oise, depuis l'ouverture, aperçut un éclair bizarre et fut bousculé par un grand coup de chaleur. Il en rata un gardon adulte et se répandit en propos malsonnants.

Les douze hommes défilèrent devant le très peu qui subsistait des jonquilles indociles. Eux et l'adjudant mangèrent du lapin dans une auberge qui ressemblait mal à celles que Vincent avait connues dans la région — mais une nuée de corbeaux tournoya longtemps sur leurs têtes.

Vers 14 h 45, par des chemins détournés, le camion regagna l'autoroute 792 où régnait l'habituelle cohue des week-ends à la belle saison.

André Hardellet