XVIII - CHŒUR DES GNOMES
Par domcorrieras, le dimanche 18 septembre 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Les petits gnomes chantent ainsi :
« Profitons de son sommeil ! — Il a eu bien tort
de régaler le saltimbanque, et d’absorber tant de bière de Mars en octobre, — à ce même café — de Mars, avec accompagnement de cigares, de cigarettes, de clarinette et de basson.
« Travaillons, frères, — jusqu’au point du jour, jusqu’au chant du coq, - jusqu’à l’heure où part la voiture de Dammartin, —et qu’il puisse entendre la sonnerie de la vieille cathédrale où repose L’AIGLE DE MEAUX.
« Décidément, la femme mérinos lui travaille l’esprit, — non moins que la bière de Mars et les foulons du pont des Arches ; — cependant, les cornes de cette femme ne sont pas telles que l’avait dit le saltimbanque : — notre Parisien est encore jeune… Il ne s’est pas assez méfié du boniment.
« Travaillons, frères, travaillons pendant qu’il dort. — Commençons par lui dévisser la tête, — puis, à petits coups de marteau, — oui, de marteau, — nous descellerons les parois de ce crâne philosophique — et biscornu !
« le moi et le non-moi de Fichte se livrent un terrible combat dans cet esprit plein d’objectivité. — Si seulement il n’avait pas arrosé la bière de Mars — de quelques tournées de punch offert à ces dames !… L’Espagnole était presque aussi séduisante que la Vénitienne ; mais elle avait de faux mollets, — et sa cachucha paraissait due aux leçons de Mabille.
« Travaillons, frères, travaillons ; — la boîte osseuse se nettoie. — Le compartiment de la mémoire embrasse déjà une certaine série de faits. — La causalité, — oui, la causalité, — le ramènera au sentiment de la subjectivité. — Prenons garde seulement qu’il ne s’éveille avant que notre tâche soit finie.
« Le malheureux se réveillerait pour mourir d’un coup de sang, que la Faculté qualifierait d’épanchement au cerveau, — et c’est nous qu’on accuserait là-haut. — Dieux immortels ! il fait un mouvement ; il respire avec peine. — Raffermissons la boîte osseuse avec un dernier coup de foulon, — oui, de foulon. — Le coq chante, — l’heure sonne… Il en est quitte pour un mal de tête… Il le fallait ! »
Gérard de Nerval /. Les nuits d’octobre