« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

AU BAL


 

 

 

 

Un rêve de cuisses de femmes

Ayant pour ciel et pour plafond

Les culs et les cons de ces dames

Très beaux, qui viennent et qui vont.

 

Dans un ballon de jupes gaies

Sur des airs gentils et cochons;

Et des culs vous ont de ces raies,

Et les cons vous ont des manchons!

 

Des bas blancs sur quels mollets fermes

Si rieurs et si bandatifs

Avec en haut, sans fins ni termes

Ce train d’appas en pendentifs,

 

Et des bottines bien cambrées

Moulant des pieds grands juste assez

Mènent ces danses mesurées

En pas vifs comme un peu lassés.

 

Une sueur particulière

Sentant à la fois bon et pas,

Foutre et mouille, et trouduculière,

Et haut de cuisse, et bas de bas,

 

Flotte et vire, joyeuse et molle,

Mêlée à des parfums de peau

A nous rendre la tête folle

Que les youtres ont sans chapeau.

 

Notez combien bonne ma place

Se trouve dans ce bal charmant :

Je suis par terre, et ma surface

Semble propice apparemment

 

Aux appétissantes danseuses

Qui veulent bien, on dirait pour

Telles intentions farceuses,

Tournoyer sur moi quand mon tour,

 

Ce, par un extraordinaire

Privilège en elles ou moi,

Sans me faire mal, au contraire,

Car l’aimable, le doux émoi

 

Que ces cinq cent mille chatouilles.

De petons vous caracolant

A même les jambes, les couilles,

Le ventre, la queue et le gland!

 

Les chants se taisent et les danses

Cessent. Aussitôt les fessiers

De mettre au pas leurs charmes denses,

O ciel! l’un d’entre eux, tu t’assieds

 

Juste sur ma face, de sorte

Que ma langue entre les deux trous

Divins vague de porte en porte

Au pourchas de riches ragoûts.

 

Tous les derrières à la file

S’en viennent généreusement

M’apporter, chacun en son style,

Ce vrai banquet d’un vrai gourmand.

 

Je me réveille, je me touche;

C’est bien moi, le pouls au galop…

Le nom de Dieu de fausse couche!

Le nom de Dieu de vrai salop!

Paul Verlaine / Poèmes érotiques / Femmes (XII)