Le testament de Coràn
Par domcorrieras, le jeudi 28 juillet 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
En l’année quarante-quatre,
j’étais serviteur chez les Boter :
c’était notre temps sacré
brûlé par le soleil du devoir.
Nuages noirs sur le foyer,
taches blanches dans le ciel,
il y avait la peur et le plaisir
d’aimer la faucille et le marteau.
J’étais un garçon de seize ans,
avec un cœur rêche et désordonné,
avec des yeux comme des roses ardentes
et les cheveux comme ceux de ma mère.
Je commençais à jouer aux boules,
à me mettre de la brillantine, à danser à la fête.
Chaussures sombres ! Chemises claires !
Jeunesse étrangère !
En ce temps-là, on allait à la recherche des grenouilles,
la nuit avec le fanal et la foëne.
Rico ensanglantait les roseaux
et les brindilles avec le fanal rouge
dans l’ombre qui glaçait les os.
Dans le Sile, on trouvait des petits poissons
par milliers dans les trous.
On allait doucement sans un cri.
Dans le bosquet des peupliers,
toute la compagnie des garçons,
juste après avoir mangé, se rassemblait,
et là, souvent, on blasphémait
et, comme des oiseaux, on chantait.
Ensuite, on jouait aux cartes
à l’ombre de l’avoine.
La mère et le père étaient morts.
Le dimanche, hommes au cœur fruste,
on s’en allait à bicyclette
en des lieux au charme sans prix.
Un soir, j’ai vu Neta
dans la lumière du bosquet.
Elle menait paître la brebis.
Avec sa baguette
elle agitait l’air de soie.
Je sentais l’herbe et le fumier
et les sueurs abandonnées
à ma chaude poitrine de cuir ;
et les pantalons enfilés
sur les flancs, dès l’aube oubliés,
ne couvraient pas l’envie
gonflée d’aubes rêvées
et de soirs sans fraîcheur de pluie.
Pour la première fois j’ai essayé
avec cette fillette de treize ans
et, plein d’ardeur, j’ai fui
le raconter à mes copains.
C’était un samedi, et on voyait
même pas un chien dans les rues.
La maison des Sellan brûlait.
Les lumières toutes éteintes.
Au milieu de la place, un mort
dans une flaque de sang glacé.
Dans le village désert comme une mer,
quatre Allemands m’ont attrapé
et, criant rageusement, m’ont emmené
dans un camion arrêté dans l’ombre.
Après trois jours, ils m’ont pendu
au mûrier du bistrot.
Je laisse en héritage mon image
dans la conscience des riches.
Les yeux vides, les habits qui sentent
mon âcre sueur.
avec les Allemands, je n’ai pas eu peur
de trahir ma jeunesse.
Vive le courage, la douleur
et l’innocence des pauvres !
Pier Paolo Pasolini / Où est ma patrie
traduit du frioulan par Luigi Scandella