« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA TERRE


 

 

 

 

 

Ni maudite

ni coupable

à l’aile noire,

la terre, étincelante de rosée,

n’est pas un duvet,

n’est pas un matelas

pour les déshérités,

pour les condamnés,

pour les proscrits,

pour les hommes à genoux,

pour les vaincus.

La terre tourne, tourne

et s’occupe en outre

de petits problèmes :

réduction de la mortalité,

augmentation de la natalité,

elle se bat pour la fission

de ses propres atomes,

elle se bat pour redresser

les bossus dans leur tombe.

La terre apprend à danser la polka

entre les murs de ma chambre.

Toute-puissante

elle monte devant moi

de vieilles mise en scène

de terreurs hurlantes

mêlées aux vérités évidentes

aux arrêts de tramways

sur les places

et devant les cimetières

où retentit le cri des furies :

— Vive Niké, la déesse ailée,

la déesse décapitée !

Joseph Brodsky / Collines et autres poèmes
traduit du russe par Jacques Marie