« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

CHANSON DES USAGES


 

 

 

 

 

 

Vous qui m’invitez à dîner

vous qui cette main me tendez

vous qui m’offrez de quoi fumer,

réfléchissez, réfléchissez :

la main que je vous donne

est pleine de fumée

la bouche qui vous parle

est pleine de pâté !

 

Il y a des pays

où l’on se dit bonjour

en se frottant l’oreille

et quelquefois le nez,

et pourquoi pas les pieds ?

Réfléchissez, réfléchissez !

 

Oui je viens dans ce temple

adorer l’éternel

en ôtant mon chapeau

et dans cette mosquée

en ôtant mes souliers

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Réfléchissez, réfléchissez !

 

Si vous éternuez,

on dit : « À vos souhaits ! »

on vous offre à priser :

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Réfléchissez, réfléchissez !

 

À force de penser

et de « réfléchisser »

à ces choses profondes

je ne sais plus que dire

je ne sais plus que faire

je suis comme un égaré !

 

Quand je veux saluer

je me gratte le nez;

je me jette à genoux

quand je veux m’en aller;

je me mouche pour rire,

j’éternue pour pleurer,

je vous pince l’oreille

en signe d’allégresse,

en signe de tristesse

je marche sur vos pieds,

sur le seuil de la porte

pour vous laisser passer

j’entre par la fenêtre

ou par la cheminée

et pour vous honorer,

dans une folle ivresse

je verse sur vos têtes

deux trois encriers.

 

(1952)

Jean Tardieu / Humoresques