« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Détour de manivelle


 

 

 

 

 

Désormais

 

si l’on excepte

la fuite et le jeu

 

qui résistent tous deux

à ma capacité de rumination

 

il existe autour de nous

trois passions :

 

la bouffe

le sexe et les autres manières de consommer

la chair humaine

 

la bagnole

 

 

 

La dernière : métaphore simpliste de la dépense

d’énergie thermodynamique ou glandulaire

premièrement pour bouger ou transporter

puis pour la seule beauté

 

de l’ébouriffe 

 

 

 

Même subvertie par la sensualité de la carrosserie

des cuirs, de la ronce de noyer

de la gestuelle bien coulée,

 

la machine récuse tout mouvement autre

que le sien propre,

 

 

 

fût-il appliqué sur la toile

céruse, safran, cobalt, vermillon,

 

outremer

 

reliefs du festin.

 

 

 

Des trois, c’est la seule exigeant tant d’efforts

collectifs

 

pour plier à ses besoins la ville et la campagne

 

métaboliser l’espace vital

en mégatonnes de ballast, d’asphalte

 

de gravats

 

bannir le commerce vers les parkings orbitaux

 

affirmer par des menaces réitérées sur la chair

la prééminence de la machine

sur l’humain.

 

 

 

La seule sur qui la Morale,

pourtant bavasse, intarissable sur les deux autres

prompte à répondre aux questions

avant qu’elles ne soient posées

 

apparemment, n’a rien à dire.

 

 

 

La seule, irréductiblement 

à ne correspondre avec rien

à résister au rite

exclure

 

 

 

sinon par adhésion à la meute stellaire

des poursuiveurs

acheveurs d’éclopés

contempleurs d’agonies

dévoreurs d’entrailles.

 

 

 

Vivre de potentialités, engloutir à sa faim

 

et au delà, faire engouffrer des escalopes ou du 

pétrole

par des automobilistes et par des chiens

ces prothèses exhibitrices

d’excréments,

 

pourquoi pas ?

 

Mais garder du moins table ouverte,

venir de temps en temps à l’écoute

de l’en dessous des viandes,

 

veiller au gouffre :

 

double fond d’œil,

 

ne pas craindre d’y descendre pour voir.

 

 

 

Désormais

dans la pâte des convoitises,

 

il nous faudra ré-insuffler

un peu de temps perdu à exister

 

non de la disparition :

 

de la dépense, réversible

 

de la mémoire.

 

Il nous faudra praliner chaque grain

d’événement

avec la poudre d’hésitation

 

l’enrober de fringale,

 

de gelée de révolte

de tact.

Vincent Wahl / Tous les râteliers ! (Rumines deux) - Éditions Rhubarbe.