Détour de manivelle
Par domcorrieras, le vendredi 27 mai 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Désormais
si l’on excepte
la fuite et le jeu
qui résistent tous deux
à ma capacité de rumination
il existe autour de nous
trois passions :
la bouffe
le sexe et les autres manières de consommer
la chair humaine
la bagnole
La dernière : métaphore simpliste de la dépense
d’énergie thermodynamique ou glandulaire
premièrement pour bouger ou transporter
puis pour la seule beauté
de l’ébouriffe
Même subvertie par la sensualité de la carrosserie
des cuirs, de la ronce de noyer
de la gestuelle bien coulée,
la machine récuse tout mouvement autre
que le sien propre,
fût-il appliqué sur la toile
céruse, safran, cobalt, vermillon,
outremer
reliefs du festin.
Des trois, c’est la seule exigeant tant d’efforts
collectifs
pour plier à ses besoins la ville et la campagne
métaboliser l’espace vital
en mégatonnes de ballast, d’asphalte
de gravats
bannir le commerce vers les parkings orbitaux
affirmer par des menaces réitérées sur la chair
la prééminence de la machine
sur l’humain.
La seule sur qui la Morale,
pourtant bavasse, intarissable sur les deux autres
prompte à répondre aux questions
avant qu’elles ne soient posées
apparemment, n’a rien à dire.
La seule, irréductiblement
à ne correspondre avec rien
à résister au rite
exclure
sinon par adhésion à la meute stellaire
des poursuiveurs
acheveurs d’éclopés
contempleurs d’agonies
dévoreurs d’entrailles.
Vivre de potentialités, engloutir à sa faim
et au delà, faire engouffrer des escalopes ou du
pétrole
par des automobilistes et par des chiens
ces prothèses exhibitrices
d’excréments,
pourquoi pas ?
Mais garder du moins table ouverte,
venir de temps en temps à l’écoute
de l’en dessous des viandes,
veiller au gouffre :
double fond d’œil,
ne pas craindre d’y descendre pour voir.
Désormais
dans la pâte des convoitises,
il nous faudra ré-insuffler
un peu de temps perdu à exister
non de la disparition :
de la dépense, réversible
de la mémoire.
Il nous faudra praliner chaque grain
d’événement
avec la poudre d’hésitation
l’enrober de fringale,
de gelée de révolte
de tact.
Vincent Wahl / Tous les râteliers ! (Rumines deux) - Éditions Rhubarbe.