« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Exercices d’appétit


 

 

 

 

Réapprendre à manger : le défi à nous posé,

gosses de riches.

 

solliciter la part la moins accessible de la mémoire

sans même l’assistance

de mâchonneurs rituels

 

Improviser des recettes jamais notées,

difficilement reproductibles :

 

réapprendre à parler

ne cessera pas non plus sitôt

de poser un problème.

 

 

 

La décision qui peut-être a entraîné

le plus de glissements souterrains

 

c’est lorsque j’ai cessé, au retour du service militaire,

d’aller au restaurant universitaire

 

et entrepris d’apprendre tout seul

premier acte d’adulte

 

à préparer mes repas

 

en commençant par les combinaisons élémentaires

de l’eau du sel des pâtes et de l’œuf

de l’huile et du vinaigre.

 

 

 

La nourriture : plus on en parle,

moins on en parle

 

moins on parle de ses qualités essentielles.

 

 

Désormais mieux vaut ne plus soutirer

les fonds de soupe

 

qu’ils puissent rester

communs terreaux

de curiosité

 

ne plus remuer ces bas culots

de substances farineuses.

 

 

 

Cesser de ressasser

que l’on raccommode

les restes.

 

 

 

Détente gustative

 

fête de peu

 

d’un bouillon d’os

d’un pâté de poumon de veau

 

de cous d’oies, de bouillons maigres

soupes de farine et graisse de bœuf

 

fibres amollies par les mijotages

obstinés.

 

 

Le goût de vivre

aussi se fatigue.

 

 

À ma portée pourtant :

 

 

faire vie de peu

ne pas combler la faille

mais vivre autour

 

demain, la veille

fébrile

 

l’insomnie créatrice

 

la faim !

Vincent Wahl / œil ventriloque (Éditions Rhubarbe)