Exercices d’appétit
Par domcorrieras, le mardi 24 mai 2016 - Poèmes & chansons - lien permanent
Réapprendre à manger : le défi à nous posé,
gosses de riches.
solliciter la part la moins accessible de la mémoire
sans même l’assistance
de mâchonneurs rituels
Improviser des recettes jamais notées,
difficilement reproductibles :
réapprendre à parler
ne cessera pas non plus sitôt
de poser un problème.
La décision qui peut-être a entraîné
le plus de glissements souterrains
c’est lorsque j’ai cessé, au retour du service militaire,
d’aller au restaurant universitaire
et entrepris d’apprendre tout seul
premier acte d’adulte
à préparer mes repas
en commençant par les combinaisons élémentaires
de l’eau du sel des pâtes et de l’œuf
de l’huile et du vinaigre.
La nourriture : plus on en parle,
moins on en parle
moins on parle de ses qualités essentielles.
Désormais mieux vaut ne plus soutirer
les fonds de soupe
qu’ils puissent rester
communs terreaux
de curiosité
ne plus remuer ces bas culots
de substances farineuses.
Cesser de ressasser
que l’on raccommode
les restes.
Détente gustative
fête de peu
d’un bouillon d’os
d’un pâté de poumon de veau
de cous d’oies, de bouillons maigres
soupes de farine et graisse de bœuf
fibres amollies par les mijotages
obstinés.
Le goût de vivre
aussi se fatigue.
À ma portée pourtant :
faire vie de peu
ne pas combler la faille
mais vivre autour
demain, la veille
fébrile
l’insomnie créatrice
la faim !
Vincent Wahl / œil ventriloque (Éditions Rhubarbe)