« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

XXVV - Dernières volontés

 

 

 

 

 

 

Mes compagnons, enterrez-moi à l’Île Noire,

face à la mer que je connais, face aux âpres surfaces

de pierres et de vagues que mes yeux perdus

ne reverront jamais.

Chaque journée de l’océan

m’apportait le brouillard ou la turquoise en chutes pures

ou la simple étendue, l’eau rectiligne et invariable,

ce que je demandais, l’espace qui rongea mes tempes.

 

Le deuil qui passe avec le cormoran, le vol

des grands oiseaux gris qui aiment l’hiver,

et chaque cercle de sargasse, ténébreux,

et chaque vague grave qui secoue son froid,

et encore et surtout, la terre et son herbier caché,

secret, fils des brumes et du sel, rongé

par le vent acide, corolles minuscules

de la côte collées au sable sans limites ;

toutes les clefs mouillées de la terre marine

connaissent chaque phase de ma joie

                                et savent

que je veux dormir là, là entre les paupières

de l’océan et de la terre…

                                Je veux partir

entraîné vers le bas par les pluies que le vent

sauvage de la mer émiette et dissémine,

puis me laisser porter par les lits souterrains

vers le printemps qui renaît en sa profondeur.

 

Ouvrez auprès du mien un creux pour ma compagne.

Et quand l’heure viendra,

laissez-la à nouveau me suivre dans la terre.

Pablo Neruda / Chant général - XV. Je suis