« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

2. LAMENTO

 

 

 

 

1979

 

 

je suis seule

oubliée malade usée

ma pauvre tête saigne

se vide et s’emplit

d’images étranges

rêves qui reviennent

jamais celui que j’attends

des serpents

fourmillent

se reproduisent

s’avalent eux-mêmes

glissent et sifflent au-dessus de ma tête

m’assaillent dans mon bain

eau teinte de sang

la tête coupée parle

ou d’autres fois chante

une mélopée grave et sensuelle

 

des femmes vociférantes

lacèrent la tête ainsi exhibée

avec des aciers tranchants

soudain

dans l’œil bleu étonné

je reconnais

mon Serge Bien-Aimé

 

je ne le vois plus qu’en songe

quelle douleur de ne communiquer qu’en rêve

 

Qui

commande aux songes

Qui 

 

je ne vois plus le monde d’aujourd’hui

je vois celui d’avant

je suis partie pour le Royaume de Dieu

et je L’ai abandonné

pour celui de l’amour

quel est le sens

de ce mot

AMOUR

pour moi qui suis vieille

flasque

peau jaunie

accrochée à un squelette qui m’effraie

mon cœur de chair est intact

Seigneur

plus vaste encore

d’avoir été creusé par l’absence

belle et courtisée j’avais le cœur sec

lui m’a ouverte

à Votre amour

 

je suis maintenant dans les ténèbres

ainsi qu’il est dit

Jérémie ô Jérémie

la nuit du Jeudi Saint

 

il ne viendra plus / n’est-ce pas

je l’attends

j’entends des pas dans le couloir

écoutez

 

n’entrent à travers cette porte

que des ombres qui m’indiffèrent

 

Seigneur

vous connaissez le fond de mon cœur

et de ma tendresse

me voilà sans enfants

bréhaigne

égarée au terme de mon piétinement sans

fin

vers vous

Sentinelle de Lumière

je n’entends que ma voix

au milieu de la Nuit

que sont devenues les étoiles

 

Dieu devrait parler

 

Se tait

 

je supplie j’attends un signe

plus j’avance

et plus j’avance dans le silence

le cœur même de ma foi a été broyé

les voiles qui me protégeaient

un à un déchirés

me voici

dépouillée

en proie à l’épouvante

prise à la gorge

par la réalité

nue

 

RIEN

 

pas même la prière

n’a pu ôter de moi

cet amour enraciné en moi

cette voix dans ma gorge

devenue ma voix

les femmes sont fidèles à un lien

qu’elles ne délient pas

marquées

regard soudé à un regard

par l’œil de feu

pour le meilleur et le pire entre le pire

 

si Dieu est quelque part

il est dans cette flamme

QUI ME TUE

et me tient debout

braise qui noircit

Dieu grand

vous m’avez réduite à n’être rien

que mon amour

qui fut tout mon être

délivrez-moi

des soubresauts de cette vie

 

le néant

sera pour moi

la paix

Baptiste-Marrey / SMS (extrait)