« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

VENGE LES ANGES

 

 

 

 

 

HAVANGE

Il y avait beaucoup d’anges dans l’air. Mais comme ils n’étaient plus en libre service on les a poussés dans un large trou d’où ils s’envolèrent comme de vivants sacs plastiques à l’ère atomique. Depuis dans les basses fosses des rétroviseurs coule de l’huile pour colmater les plaies de la terre dont aucune ne nous est épargnée.

 

TALANGE

À longtemps marcher dans la nuit noire j’avais l‘impression d’être poursuivi par des monstres non identifiés qui portaient le visage d’homme. Leurs faisceaux à peine lumineux fouillaient en haut la rambarde de sécurité. Ils jouaient à faire semblant de ralentir avant de disparaître le long de la route. Ainsi je dus suivre ces lignes comme un automate pendant une dizaine de kilomètres sans me faire écraser. Il me fallait du rythme de quoi oublier la douleur qui montait à l’assaut de ma cheville. Après avoir vu la tristesse de près dans ces sentiers maigrichons et ces passerelles bosselées de rouille je n’aspirai qu’à regagner ma chambre. Hélas il se faisait tard. Une ampoule de forme indéterminée éclairait mes arrières. Demain je devrais rester immobile à observer ce bout de maladie d’enfance qui colle à la peau comme une bulle peignant à sa surface la fragilité de mes rêves.

 

HESPERANGE

Si loin vers la frontière du Nord la noirceur des choses ne peut que s’inverser. Il est vrai que dans ces vallées minières la vêture des arbres et des maisons s’épaissit comme s’ils avaient été plongés trop longtemps dans la boue. Sur les plaines qui leur succèdent seul le cadastre impose des limites. On est dans l’indécision la plus totale l’expectative de la solitude. Faute de pouvoir passer de l’autre côté la nature a disposé là quelques unes de ces étendues vierges à priori sans intérêt. Pourtant il y a derrière d’infinis vergers dont les fleurs d’été se dispersent du matelas des anges aux plumes suspendues entre deux mondes. Et dans l’arrière saison des veillées calmes les pommes y sont délicieuses. Il faut s’enfoncer à l’intérieur pour que ces fruits soudain vous apparaissent. Ainsi parlent nos ancêtres les parchemins. C’est pourquoi depuis toutes ces années je cherche des pommiers sur cette île et ne trouve que des bornes semi-enterrées.

Patrice Maltaverne / Venge les anges (extraits)
« Patrice Maltaverne habite en Lorraine, plus précisément à Metz (Moselle). Dans le coin, les villes et villages dont le nom se termine par -ange foisonnent. Patrice les a choisis comme thème de ce recueil, rempli d’anges et — qui sait? — de démons. …/… » (N.D.E.).