« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

COMPLAINTE DE LA LUNE, LUNE

 

 






À Conchita García Lorca

 

 

 

La lune vint à la forge

en jupe de tubéreuse

et l’enfant ouvrit sur elle,

ouvrit, ouvrit ses grands yeux.

Dans l’air tout ému, la lune

bouge ses bras et ses mains,

en montrant, lubrique et pure,

ses deux seins de dur étain.

Va-t-en lune, lune, lune.

S’ils arrivaient, les Gitans

feraient de ton cœur parure

d’anneaux et de colliers blancs.

Petit, laisse-moi danser.

Lorsque les Gitans viendront,

tes jolis yeux seront clos,

sur l’enclume ils te verront.

Va-t-en lune, lune, lune,

je les entends galoper.

Petit, ne marche pas sur

ma blancheur amidonnée.

 

Le cavalier traversait

la plaine, tambourinaire,

et dans la forge l’enfant

avait fermé les paupières.

Au milieu des oliviers,

les Gitans de bronze et rêve

ont la tête relevée

et leurs yeux sont entrouverts.

 

Comme chante sur son arbre,

oh, chante le chat-huant,

dans le ciel passe la lune,

tenant la main d’un enfant.

 

Les Gitans dedans la forge

poussent des cris en pleurant

et le vent la veille, veille.

La veillent l’air et le vent.

Federico García Lorca / Complaintes gitanes