« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LA DÉCOURONNÉE

 

 



 

C’est un lien qui est si fort
Qu’il ne se déli’ qu’à la mort.

 

 

La Reine avait dit à la Mort :

« Le Roi que j’ai, je l’ai si fort

Que tu nous trouveras demain

Ma main vieille en sa vieille main

Et nous feras ton grand salut

Comme aux plus élus des élus. »

 

Rien n’a la Mort, rien répondu.

Elle a toute proche attendu

Et revenant le lendemain

A trouvé sans main dans la main,

Seule en son pauvre dernier jour

La Reine et grande ombre autour.

 

« Où donc est ton Prince ? Je viens

Vous honorer comme il convient. »

Tête basse, la Reine a dit :

« Que sais-je ? Ailleurs il est parti

Tout lent tout vieil et tout chenu

Hier et n’est pas revenu.

 

Quelqu’un l’a très tard emmené

— Où sais-je ? — en chemin détourné

Comme un roi lâche qui s’en va

Jetant sa couronne aux gravats

Et moi, honteuse, me voici

Sans lui découronnée aussi. »

 

— Ne pouvait-il, ah ! dit la Mort

Pour que fût ce saint  lien d’or

Délié, me laisser le temps

De survenir en me hâtant

Avant qu’autre ne l’ait rompu ?

— Non ! dit la Reine, il n'a pas pu...

 

— Ah ! dit la Mort tant pis pour toi !

Tu n’auras pas honneur de moi.

Brisée avant l’ultime jour

La coupe de royal amour

Comme un vil verre de buveur !

Meurs sans joie et sans gloire. Meurs !

Marie Noël / Chants des Quatre-Temps.