« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

À la nage jusqu’en Bolivie

 

 

 


 

à Edgardo Zotto

 

 

Fidel, mon fidèle frère le matin,

j’ai trente-neuf ans et je suis triste,

triste dans le marécage de ma furie.

Ne me demande pas d’être patient,

mille ans vietnamiens contre la Chine…

je suis médecin, je dois attaquer la maladie.

Je dois briser le feu de ce néant.

Au milieu de la jungle, je rêve des villes.

Mon frère de l’absolu,

vingt-sept tirs contre un blindé

arment une écriture

et non l’écho de la mort animale dans les arbres.

J’incarne l’Idéal avec ma barbe pleine de poux ?

Je suis celui qui doit se perforer avec l’acier

pour conquérir la bouffée d’air.

Je fus étranger chez moi :

j’ai nagé pour ma mère, cassé de froid,

il fallait m’apprendre à respirer.

J’étais l’autre Ernesto Guevara, le fils.

Quand l’air arrivait dans mes poumons

il arrivait par erreur.

Quand je pense que j’ai goûté au rugby…

Si même je ressemble à un prolétaire yankee

malade d’humidité

dans cette jungle presque congolaise

où le commando Jimi Hendrix chante :

Hey, Joe

I heard you shot your woman down.

« Un oiseau mort, corps sans vie

sur la porte : mauvais présage

pour commencer la journée »,

je l’entends dire d’un des nôtres.

Il n’y a pas de portes dans la jungle, je dois rêver.

Il n’y a ni adrénaline, ni épinéphrine, ni mine

mais je suis écrivain :

je suis armé.

Beatriz Vignoli / Santa Fe - Huit poètes argentins