« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L'homme qui assassinait sa vie

 

 

 

 

     Vous savez, je crois que je porte, profondément ancrée en moi, une double déclinaison de l'existence... Celle qui m'oblige à épeler la mémoire, à retenir ses leçons, ses maléfices, sa tendresse et ses cris, et celle qui me plonge, m'aspire, m'appelle vers l'urgence violente de l'actualité. Je cours. Je bouge. Je regarde. Je note. Je voyage autant que possible DEVANT l'avion. Bref, je suis le baromètre de mon vieux temps et le sismographe de mon jour d'hui.
     C'est vrai pour les mots qui me viennent à la plulme et qui n'ont pas peur des cabrioles, du néo, des langues étrangères, de la prise en compte de l'audiovisuel. Vrai aussi pour les thèmes... Gigolettes, rebuts, transfuges, paumés, otages, beurettes, obèses, négros, exportés-Boing, funkies, junkies, prolos ou petites gens en quête d'un moyen bonheur, j'aime la terre entière. J'ai peur, je ris, je vomis, je m'éraille, je proteste pour elle. Sa vérité violée. Sa dignité détruite. Et aussi ses chemins douloureux. La contradiction de ses pas. Son devenir incertain. Ses fantasmes, sa fornication, qui le soumettent au troupeu. Ses gestes qui trahissent ce qu'il enferme dans son cœur.
     C'est ça... je suisla planète Terre. Je l'écoute. Et c'est souvent bougremlent mieux que le ventre de ma mère. C'est ma manière de vivre. C'est mon envie d'être avec. C'est le tribut que je peux payer au voyage en commun, à celui qui nous plonge ensemlble vers l'inconnu de ce quye nous allons faire de nous...
     Et au fond de l'écriture, c'est la boiterie qui fait le rythme.

Jean Vautrin / Introduction à "L'homme qui assassinait sa vie".