« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Une heure avec elle

 

 

 

 

 

 

Mon chagrin est certain : ces yeux-là se le disent.

Dans les mains du chagrin, mes rênes sont remises.

Elle était là, je croyais bien tenir ma proie :

Content suis-je aujourd’hui d’en retenir le rêve.

J’ai cédé au désir de mes yeux, qui m’achève :

Yeux clos, je n’aurais pas à me mordre les doigts.

À qui dois-je ce corps dont je me plains, dolent,

Ce cœur qui dit ma plainte avec ses battements ?

Je n’ai pu jusqu’ici survivre qu’en secret,

Je restais en des lieux que la ort ignorait.

Je donnerais ma vie, autant qu’en eut Noé,

Pour une heure avec elle, et je serais comblé.

Pour cette lèvre, eau vive, ah ! je paierais, gagnant,

De mes jeunes années l’eau vive et le printemps !

Que le désespoir dit, en secret : Non, jamais,

Ma rêverie répond : Peut-être bien, qui sait ?

Ce qui console, amis, je ne le connais pas.

Mais l’amour, voulez-vous savoir ? Demandez-moi !

Prenez donc tous les morts depuis qu’est né l’amour :

S’il en a tué un, c’était moi le second.

Où est le plus aimant des amants ? Je réponds :

« Ne cherchez pas, c’est moi; sinon, cherchez toujours ! »

Ibbn Sahl (1210-1251)