« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

28 novembre (1937)

 

 






 

      En amour, ce qui compte seulement c’est d’avoir une femme dans son lit et chez soi : tout le reste, c’est des conneries, de sinistres conneries.

      La forme d’amour la plus banale trouve sa nourriture dans ce que l’on ignore de l’objet. Mais qu’est-ce qui est au-dessus d’un amour qui est fait de ce que l’on connaît de l’objet ? 

 

      La vérité c’est que j’arrive toujours trois ou quatre ans après mes contemporains : de là mon attachement désespéré et à la fois écœuré à mes vérités.

 

      Preuve de vanitas vanitatum* : on s’intéresse tant à soi-même, et pourtant, c’est seulement un hasard que nous soyons nous et non autrui. Je pouvais naître femme et être domestique, et alors, où était le problème ?

      N’y a-t-il pas aussi quelque chose d’illusoire dans l’importance que l’on s’attribue quand l’intérêt nous contemple, nous, la domestique et tout le genre humain ? Personne d’envergure.

      N’est-il pas tragique le fait que toutes les personnes de bonne foi soient un peu ridicules ? S’il y avait une seule foi, cela ne se produirait pas. La grande, la terrible ironie de la vie, c’est qu’à n’importe quel moment nous puissions être idiots. Tout le monde redoute cela : on aime mieux être un salaud qu’un imbécile. Vieux refrain. La raison c’est que tout imbécile est aussi un salaud et non le contraire. Un salaud sage est concevable. Mais existe-il un imbécile bon ? Sur le moment peut-être, mais l’année, la vie de l’imbécile compte toujours des saloperies, parce que l’impéritie mène à des situations d’où l’on ne sort qu’en violant les règles du jeu social.

 

      Je connais un idiot qui, dans sa jeunesse, a refusé d’apprendre les règles du jeu, perdu qu’il était derrière des chimères, et maintenant les chimères s’évanouissent et le jeu le broie.

 

      Problème : la femme est-elle la récompense du fort ou l’appui du faible, en fonction de ce qu’ils veulent ?

      Ironie de la vie : la femme se donne comme récompense au faible et comme appui au fort. Et personne n’a jamais son dû.

 

 

 

* Ecclésiaste, I, 2.

Cesare Pavese / Le métier de vivre