« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

FABLES DES ORIGINES

 

 

 

 

DIEU ET LE MONDE

 

     Au commencement, il n’existait que Dieu et les démons.

     Ceux-ci se distinguaient par leur seule odeur et par le sifflement qu’ils produisaient en se déplaçant.

     Ils étaient invisibles.

     Voici qu’ils se cachent de Dieu.

     « Kane ! Mapel ! Delo ! »

     Dieu appelle encore :

     « Kane ! Mapel ! Delo ! »

     Ils sont cachés les uns derrière les autres, à la file, contre la forte odeur de Chaur.

     Aucun démon ne vient.

     Dieu se fâche.

     Il f    ait souffler un vent terrible pour chasser les démons à soi.

     Naan seul est venu.

     Les autres résistent.

     Le vent devient de plus en plus fort; ils résistent, se serrent, se contractent, et tant qu’ils deviennent pierre. — C’est l’origine de la terre.

     Après Dieu fit des arbres et des animaux pour y habiter.

 

 

 

DIEU, LA PROVIDENCE

 

     Dieu sait faire toute chose. De là son ennui.

     De là qu’il voulut d’un être qui ne saurait faire que peu de chose.

     C’est la cause de la création.

     Il fit les pierres. Mais quand elles eurent roulé au fond des ravins, elles ne firent plus rien.

     Dieu s’ennuie.

     Puis, il fit les arbres, mais ils s’élevaient tous vers le soleil.

     Dieu s’ennuie.

     Alors Dieu détache un gros morceau de soi, le coud dans une peau et le jette sur la terre. Et c’est l’homme.

     Et l’homme bouleverse la terre, les pierres, l’eau et les arbres.

     Dieu regarde. C’est bon voir quelqu’un faire quelque chose.

     Parfois lui-même secoue la terre, jette une montagne contre une autre, souffle sur la mer. Les hommes courent, se débattent.

     Et Dieu regarde. C’est bon voir quelqu’un faire quelque chose.

 

 

 

LE DIEU « NON »

 

     « Ne serait-il pas bon de créer des choses ? », se demande Dieu.

     La question fait le tour de Dieu et revient après trois cents ans.

     Elle revient avec d’autres paroles, les paroles de tous ceux qui ensemble font Dieu.

     Et les paroles disent ; « oui ! », une seule dit « non ».

     Les dieux passent outre, et le monde est créé.

     Mais le Dieu « non » se venge sur l’homme — parce qu’il est la créature la plus intelligente.

     Cela, tu le vois tous les jours.

 

 

 

ORIGINE DES CONTINENTS

 

     Dieu d’abord créa la terre, dessus il posa la vie.

     Tout ce que la vie approchait, s’animait, devenait homme.

     Mais les peuples devinrent si pesants que la moitié de la terre creva et fut engloutie dans l’eau.

     Dieu réfléchit alors — il crée la mort. quand le poids des peuples devient trop lourd, alors la mort vient et tue.

Henri Michaux / LES RÊVES ET LA JAMBE, FABLES DES ORIGINES et autres textes (1922-1926), extraits.