« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’ENVERS DU SOLEIL - Désespoir d’un chômeur

 

 

 

 

 

Je traîne à la queue d’une tribu perdue

Comme un animal des savanes hanté

Par le rythme d’un autre troupeau.

Je ne sais combien je compte de réveils

En ce monde, et tant de soleils

Qui ont éclaté entre mes cils

N’ont point doré un seul coin de mon sort.

Sans toit, ni sous, avec le disque du soleil sur le front,

J’erre sous un ciel si plein de rigueurs

En ces jours de premières trombes d’eau !

Plusieurs fois déjà la police de nuit

M’a identifié parmi les chiens errants de la ville…

J’aurais aimé la vie en toute saison : l’odeur

Que la terre renvoie aux nuages en réponse à la pluie,

L’ombre violette des après-midi sous les arbres

Le long des routes bordées de chants d’oiseaux ;

Et l’on est secoué par les rythmes de ce pays

Plus que le pêcheur sur son chameau d’eau !

Mais à présent, je suis descendu des hauteurs de mes rêves,

En ce bas-fond sans illusion où tourne sans cesse

la spirale des mauvais jours ;

En cette masure non visitée par la lumière,

C’est le refuge de la Nuit quand dehors

Elle se trouve pourchassée par les lampes,

Au plus fort des ténèbres, une douleur inassoupie,

Chaque jour remonte par les canaux sanguins

Fermer le ruissellement de mon sommeil.

Puis je retrouve le matin au même point

Que la veille avec sa gerbe de soleil au point…

Le travail vit toujours derrière les barbelés

Et les aboiements qui proclament son absence

Avant l’encre noirâtre des écriteaux.

Alors je regarde passer le vent

Qui va faisant par la ville

Sa collecte de discours et d’affiches inutiles,

Et les hirondelles que les poteaux électriques

Lancent à la volée à travers l’espace ;

Et l’horloge arrêtée contre le mur gris d’un vieux chantier,

Refusant de compter les heures vides…

Il prend alors envie de se mettre au bord du temps

D’errer par les veines obscures de la terre

Où cheminent, dans l’apaisement de mille souffrances vécues,

Des pauvres que la mort a couverts d’oubli.

Mais il me reste ici-bas ma mère,

Un être tout frêle qui me retient encore

En ces lieux que je traverse à plat ventre

Comme un fleuve impraticable.

Quand le soleil ne voudra plus d’elle

Je prendrai la plus sûre des cordées

Pour la suivre jusqu’au gouffre des Morts.

Jean-Baptiste Tati Loutard / Extrait de « L’Envers du soleil » (1970) / Anthologie - Six poètes d’Afrique francophone - Choix et présentation par Alain Mabanckou (Points)