« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Poème sans titre

 

 

 

 

puis le monde

a fait encore

un tour tour tour

j’ai cru qu’il était le même

j’ai cru que j’étais le même

mais mon sommeil est ma veille

comme avant

mes mots sont mon

visage mes yeux ma bouche tout

ce qui m’entend et les autres

l’entendent

alors ce qui change

compte si peu qui sait même

si personne l’a vu si

moi-même j’en ai rien su

maintenant je suis chaque autre

moi et toi lui elle et lui

je suis le recommencement

du monde

 

X

 

je ne sais pas

ce que hier

sera

ce que fera le passé

l’inconnu

n’est pas demain

c’est ce que hier fera de

demain

 

X

 

je ne suis pas où je suis

les choses en savent

plus que moi

je continue un passé

je continue un futur

le présent

contraire à toutes

les promesses tous les savoirs

le présent s’est absenté

il doit être à portée

de souffle

à toucher du doigt

mais je n’y suis pas encore

 

X

 

un puits il avait dit un

puits un puits qui était là

un puits qu’il fallait forer

l’eau des paroles

coule

depuis

mais jamais assez pour boire

jamais assez pour tout dire

la soif est toujours plus forte

on n’a pas dit ce qu’il faut

on a trop dit sans rien dire

la parole une pierre la bouche

pleine de pierres

les parleurs

des pierres dressées

de nouveau il faut creuser

un puits retrouver

le son

de l’eau qu’on boit dans les mots

 

X

 

le monde 

n’a pas commencé

puisqu’il ment

nous cherchons

le commencement

oui avec moi

oui par toi

les mots ne savent pas le dire

ils ne savent pas ce qu’ils disent

c’est pourquoi nous commençons

le monde

depuis tout ce temps

 

X

 

une fois une fois

combien de

fois

je n’attends pas

je m’attends

je n’ai pas un visage

mais je ne sais plus si c’est

tout à fait le mien le tien

et je vois de tous mes yeux

mais ce sont aussi tes yeux

et il y a du visage

qui passe

de l’un à l’autre

visage

quand on regarde

un visage

il y a de la main qui passe

dans la pensée

une pensée vers une pensée

c’est aussi

du corps à corps

c’est aussi

ce qui est plus moi que moi

plus toi que toi

de la main

à la main

et ainsi pour l’un pour l’autre

plus moi de l’autre

l’autre aussi

de monde en monde

main en main

Henri Meschonnic / Poé/tri - 40 voix de poésie contemporaine