ADIEUX
Par domcorrieras, le dimanche 24 août 2014 - Poèmes & chansons - lien permanent
Oh, adieux à une terre et à l’autre,
à chaque bouche et à chaque tristesse,
à la lune insolente et aux semaines
qui enroulèrent les jours et qui disparurent,
adieu à cette voix-ci et à celle-là teintée
d’amarante, et adieu
au lit et au plat habituels,
au coin des adieux vespéraux,
à la chaise mariée avec le propre crépuscule,
au chemin que tracèrent mes souliers.
Je me répandis, aucun doute,
je sentis muer mes existences,
je changeai de peau, de lampes, de haines,
j’y fus contraint
non par la loi ni le caprice
mais bien par une chaîne :
chaque route nouvelle m’enchaîna,
je pris goût à la terre entière.
Je venais d’arriver et je disais bientôt adieu,
avec la tendresse encor fraîche partagée
comme si le pain s’étant ouvert, tout à coup
tout le monde avait fui la table.
Je partis ainsi de toutes les langues,
je répétai les au revoir comme une vieille porte,
je changeai de cinéma, de raison, de tombe,
je partis de partout pour autre part,
je fus ce que j’étais jusqu’à présent :
à demi démâté dans l’allégresse,
nuptial dans la tristesse,
ne sachant jamais ni comment ni quand
j’étais prêt au retour, mais on ne revient pas.
On sait que celui qui revient n’est pas parti :
ainsi toute ma vie je suis allé, venu,
changeant de vêtements et de planète,
m’habituant à la compagnie
et à la multitude de l’exil
sous la solitude des cloches.
Pablo Neruda / La lune dans le labyrinthe / Mémorial de l’Île Noire