« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ADIEUX

 






Oh, adieux à une terre et à l’autre,

à chaque bouche et à chaque tristesse,

à la lune insolente et aux semaines

qui enroulèrent les jours et qui disparurent,

adieu à cette voix-ci et à celle-là teintée

d’amarante, et adieu

au lit et au plat habituels,

au coin des adieux vespéraux,

à la chaise mariée avec le propre crépuscule,

au chemin que tracèrent mes souliers.

 

 

Je me répandis, aucun doute,

je sentis muer mes existences,

je changeai de peau, de lampes, de haines,

j’y fus contraint

non par la loi ni le caprice

mais bien par une chaîne :

chaque route nouvelle m’enchaîna,

je pris goût à la terre entière.

 

 

Je venais d’arriver et je disais bientôt adieu,

avec la tendresse encor fraîche partagée

comme si le pain s’étant ouvert, tout à coup

tout le monde avait fui la table.

 

 

Je partis ainsi de toutes les langues,

je répétai les au revoir comme une vieille porte,

je changeai de cinéma, de raison, de tombe,

je partis de partout pour autre part,

je fus ce que j’étais jusqu’à présent :

à demi démâté dans l’allégresse,

nuptial dans la tristesse,

ne sachant jamais ni comment ni quand

j’étais prêt au retour, mais on ne revient pas.

 

 

On sait que celui qui revient n’est pas parti :

ainsi toute ma vie je suis allé, venu,

changeant de vêtements et de planète,

m’habituant à la compagnie

et à la multitude de l’exil

sous la solitude des cloches.

Pablo Neruda / La lune dans le labyrinthe / Mémorial de l’Île Noire