Les Justes Les Bourreaux
Par domcorrieras, le lundi 4 août 2014 - Poèmes & chansons - lien permanent
Je hais la neige
Sa pureté c’est le mirage de Satan
Elle éblouit mais son éclat nous piège
Malheur à qui se croit sauvé en succombant
À la tentation d’être blanc comme neige
Je hais la chasteté du froid Je vous abohrre
Âmes si pure ! liliales jusqu’aux dents
Plus carnassières que l’hermine Anges rapaces
Doux à crier entre vos serres de duvet
Que Dieu m’épargne vos dents blanches Que l’Agneau
Ne s’égare pas dans la neige
Qu’il ne se perde point parmi les purs
Car sa raison n’est pas de blanc de neige
Elle est gris jaune et sent le suint elle est mêlée
De ronces et l’argile humaine y colle après
Et l’odeur de fornication et le sang fade
Et le baume ranci des larmes ! Dieu est sale
Ö purs
Il n’est pire abomination que d’être pur
Toute innocence est mal scellée depuis la Faute
C’est un reste d’Eden mais l’eau en est croupie
Plutôt brûler ma soif à l’urine des fleuves
Que de boire cette pollution de paradis
Il n’est pire abomination que la pensée
Des purs
Leur parole est plus hypocrite que la neige
C’est la manne enrobant l’ordure du sacrilège
J’ai vu leurs lèvres emmiellées J’ai reconnu
Le trou honteux
Assis en cercle autour de l’Agneau les coyotes
Renouvelaient la cène du Seigneur
Accoutrés comme des acteurs de bergerie
Les coyotes vont à l’église le dimanche
Célébrer les langueurs de l’Agneau
Et l’holocauste et la victoire de l’Agneau
Ils s’écoutent chanter ils se sentent propres
Leur musique a la bonne odeur du linge blanc
Ils n’entendent pas ce qu’ils chantent
Ils mentent
Tout en disant la vérité
Que leur église est une boucherie
Ils vont verser le sang et manger la victime
Mais le crime ne tachera pas leurs beaux habits
Dévotement hygiéniquement ils communient
Avec du jus de raisin au sang du Verbe
J’ai honte de ces coyotes dont je suis
De leur chemise et de leur âme du dimanche
De leurs bonnes manières de sainte Table
Leur trop décente si indécente théophagie
J’ai honte de mon sauveur émasculé
Dieu sans sel ni levain fadeur immaculée
Dont les ravissements équivoques profanent
Les sueurs les crachats l’auguste cruauté
La très humaine laideur de l’agonie
Où bien plus qu’en sa gloire est la divinité
Et moi aussi j’ai fait du Crucifié
Cet eunuque de lait et de son l’Impubère
Éternel
Moi aussi pour mieux singer le dieu castrat
J’ai tranché mon propre sexe devant les pères
Tel est mon crime jusqu’aux cieux
ma pureté
Le laborieux bourreau peine à l’ouvrage
Il sait combien sont durs les membres et le bois
Mais il fait son métier viril avec courarge
Sans quitter du regard cet homme sur la Croix
Il enfonce les clous dans sa propre nature
Il écoute sa chair dans l’autre qui gémit
Il guette ce moment exquis de l’homme dans le cri
Le visage gluant des mouches de son Dieu
L’abominable hostie il la consacre
C’est le premier chrétien
Je dors à corps fermé
Dans la prison une fenêtre veille
Je n‘entends rien les cris cotonnent mes oreilles
Ma conscience est le mur qui longe la prison
Je dors contre les autres
Je ne suis pas des leurs Je ne suis pas des nôtres
Je veille à bien dormir Je sais dormir debout
Je suis d’un monde somnambule comme nous
Je dors le monde est sûr
Je longe la prison du bon côté du mur
Que le mur marche à mon côté ma vie entière
Et soit mon bouclier
Je dors rien ne se passe
L’autre côté du mur n’existe pas
Que m’importe ce que je sais ou ne sais pas
Je nierai tout trois fois
Je dors je ne suis rien
Zéro est le visage de tout homme
Nul ne torture Nul ne crie Nul n’est personne
Personne n’est témoin
Le Juste dort une montagne sur le cœur
Sommeil du Juste ô mont de l’agonie
Toutes les nuits un homme de douleurs
Y souffre notre humanité jusqu’à la lie
Dès qu’il est seul — Eli lamma sabachthani —
Face à la cruauté de l’homme contre l’homme
Seul à combler l’absence à refaire la somme
De l’être à tout instant annulé par son cri
N’importe qui ressemble à Jésus-Christ
Endurant innombrable et un la face humaine
Telle que le bourreau l’adore — d’une haine
Qui change en Dieu cet homme en elle anéanti
Pierre Emmanuel / Évangéliaire O.C. t. I, P. 1917