« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Sur l'étagère

 

 

 

 

Combien sont-ils à attendre

— momies, serrées dans leurs plaquettes

qu'une main d'eau lente ou fiévreuse

les sorte dans le grand vent et qu'ils affrontent

entre ciel et terre les dieux qu'ils crurent briser

et qui vont vifs dans l'air bleu du matin

Ceux qui jaunissent sans recours et ceux

qui cassent les dorures du temps

ceux qui ont tout perdu qui font le pied du meuble

et ceux qui traînent ouverts à toute heure

dans les pièces ensoleillées de la mémoire

les vainqueurs les vaincus auront un jour

même visage et même voix

l'envergure du milan sur le sillon

le profil du bouleau dans le soleil

et derrière la charmille l'inlassable chuchotement de la rivière

dont pas une voyelle ne se perd.

Guy Goffette / Eloge pour une cuisine de province / Dilectures