« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Histoire allégorique

 

 






… / …

 

 

 

   Sa dame étant partie la première de la Ville du Dernier-Confident arriva la première à celle de Somatte, où elle croyait entrer comme dans un village sans dire bonjour ni Dieu te garde. Mais elle fut bien surprise lorsqu'étant arrivée à la barrière du faubourg, elle trouva l'Amour qui servait de Suisse, la hallebarde ou si vous voulez l'arc bandé à la main, qui lui dit : «demeurez-là»; elle le reconnut non seulement à son habit, mais encore à sa voix;  de sorte qu'étant demeurée, et l'Amour s'en étant  approché de plus près, lu demanda son nom, sa profession, son pays, où elle allait, et d'où elle venait. Elle répondit à toutes ces demandes le plus véritablement qu'il lui fut possible, faisant instance d'entrer plus par curiosité que par nécessité : mais l'Amour la repoussant toujours, «ma mie (lui dit-il), c'est folie à vous de prétendre entrer ici si vous n'avez compagnie; les filles n'y peuvent point venir seules, et pour une prude comme vous êtes, je m'étonne comment vous ne savez pas mieux les lois de ce pays-ci; prenez la peine de vous asseoir là en attendant que quelque galant vous vienne relever de sentinelle; le premier qui paraîtra sera celui qui vous ôtera de peine, et qui vous donnera la satisfaction que vous souhaitez depuis si longtemps, et qu'il attend peut-être aussi devant vous». Comme il disait cela, son amant paraît et arrive; elle fut ravie de le voir, et lui ravi de la rencontrer. Mais sa joie ne le détourna point de son devoir. Après l'avoir baisée, il alla faire révérence à l'Amour qui le reçut à bras ouverts, car c'était un de ses vieux reîtres. Et, après avoir examiné ses lettres de souffrances, de peine, de martyres, de langueurs, de désespoirs, etc., les ayant trouvées en bonne forme et soussignées selon la coutume, il leur ouvrit la barrière du faubourg, où ils entrèrent avec lui les plus contents du monde. Ils passèrent sans rencontrer personne; et au bout de la grande rue et justement devant la porte du milieu de la Ville, ils aperçurent un petit Temple (c'était celui de l'Occasion) par-dedans lequel il fallait trouver passage pour aller plus outre. L'occasion en gardait la porte : mais s'étant approchés tout doucement près d'elle, sans qu'elle s'en aperçut, l'Amour qui est toujours subtil et ingénieux à surprendre son monde, la prenant tout d'un coup par les cheveux, lorsqu'elle s'amusait à regarder je ne sais quoi d'un autre côté, les fit entrer tous deux dans le Temple, et ne la quitta point qu'ils n'en fussent sortis.

   Il était de figure triangulaire, et les trois tableaux qui en couvraient les trois faces en guise de tapisseries étaient ce qu'il y avait dedans de plus remarquable. Le premier représentait une maison où les voleurs entraient par les portes et par les fenêtres, avec ce mot au-dessous :

 

L'occasion fait le larron.

 

   Dans le second on voyait une ville prise d'assaut par les ennemis, avec ce dicton :

 

En cette occasion

Elle fait le soldat ainsi que le larron.

 

   Le troisième figurait un jeune garçon, qui ayant surpris sa maîtresse dans sa chambre, la baisait mignardement, tandis que sa mère se coiffait, avec ces deux vers :

 

Selon que chacun d'eux la trouve justement,

Elle fait le larron, le soldat et l'amant.

 

   Ces trois peintures différentes leur firent faire trois jolies réflexions : mais ce qui empêcha qu'ils ne purent galantiser davantage sur ce sujet fut un grand horloge à trois faces qui état au milieu du Temple, monté sur une colonne de trois pièces, dont chacune regardait un de ses angles, à l'un desquels il y avait une petite porte ovale qui s'ouvrait d'elle même quand cet horloge sonnait. C'était un ouvrage d'admirable artifice; deux contrepoids en faisaient tourner toutes les roues. Toutes les heures n'y étaient pas figurées également distantes les unes des autres comme aux nôtres, mais toutes inégales : et ce qui fait le nœud de l'Histoire, c'est qu'elles étaient marquées par un Cupidon doré, vêtu en Berger, qui était à l'un des bouts de l'aiguille, et justement à la place où nos horlogers mettent des Fleurs de Lys pour les signaler, ce qui fait qu'on appelle l'Heure du Berger celle qu'il montre quand il est justement dessus. 

   Par bonheur pour elle et pour lui, elle sonna lorsqu'ils étaient là, tellement extasiés qu'ils ne savaient plus ce qu'ils faisaient; et à même temps cette Porte ovale qui fermait le cabinet de la Jouissance s'ouvrit, et l'Amour qui tenait l'Occasion par les cheveux les poussa tous deux dedans; il n'y eut pas moyen de s'en dédire. Ils y entrèrent donc aussitôt avec le Plaisir et la Volupté. La prose en demeure là, mais les vers le disent :

 

Que dessus l'autel clos et coi,

Et notre amante et notre amant,

Se virent je ne sas comment

Et se firent je ne sais quoi.

Claude Le Petit / Histoire allégorique (extrait final).
Un témoignage contemporain, Guillaume Colletet a rapporté :
« Ce jourd’hui premier jour de septembre fust bruslé en place de Grève, à Paris, après avoir eu le poing coupé, fait amende honorable devant Nostre-Dame de Paris esté étranglé Claude Petit, advocat en Parlement, auteur de L’Heure du Berger, et de L’Escole de l’Interest pour avoir fait un livre intitulé : Le Bordel des Muses, escrit l’Apologie de Chausson, le Moyne renié et autres compositions de vers et de prose pleine d’impiétés et de blasphèmes, contre l’honneur de Dieu, de la Vierge et de l’Estat. Il estoit âgé de vingt et trois ans et fut fort regretté des honnestes gens à cause de son bel esprit qu’il eust peu employer à des choses plus dignes de lecture. »