« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ET PUIS ENFIN…

 

 

 

Et puis, enfin un midi et à jeun,

La pensée se fend et s'ouvre ;

Tu sais, tu es foudroyé par un seul rayon de vérité, —

Tu n'as pas eu de doutes,

Jamais tu n'avais eu de soupçons, —

Tu sais avec la décision du suicide

Que tu es comme ceux que l'on nomme fous.

 

Ce n'est pas des vices malheureux,

Ni des vieux crimes, que l'homme sage lisait

Dans ton visage d'oiseau sans plumes.

 

On ne comprend plus,

La lucidité du vertige rejette l'île,

Au milieu des flots macabres et semblables,

Et l'on est avec tant d'ardeur

Ailleurs,

que les hommes

Sont des araignées, des mouches sans ailes

Et des squelettes, et des vers roses à ventre gros.

 

La main que l'on prenait et serrait,

N'était as une main comme la nôtre,

Et avec l'ami on n'était pas deux hommes,

Pourquoi nul d'entre eux n'a-t-il jamais crié :

« Fuyez, c'est fou de demeurer là,

« C'est un fou, il doit bien connaître qu'il est fou ! »

 

Mais non, tu ne le savais pas,

Tu croyais ce nuage autour de toi créé par ton zèle à connaître.

Je dis tu, parce que tu me vois là,

L'an dernier ou hier,

Devant que cette fente horrible ne fût ouverte devant moi.

J'étais donc mille lieues au-delà,

Pas avec eux, et mais avec ma peine immense

D'aimer que j'aime ;

Mais on pouvait m'aimer

Toi, moi-même, non, je ne pouvais pas m'aimer.

 

Dans ma tête petite,

Il y a une lumière éblouissante,

Isolée…

Aujourd'hui tu sais !

Et tu assistes à tes actes, tu ne les fais pas toi-même.

 

Tu es à côté du monde. —

Un jour tu seras découvert. —

Tu es un voleur d'amour,

Une chose horrible que l'on croit un homme.

Jean de Boschère (1878-1953)