« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Histoire du visage de la morte

 

 

 

 

 

    « Regardez ! Voyez ce qu'elle est devenue. Combien elle aurait aimé vous revoir une dernière fois ! », prononça la mère de sa femme en le conduisant à la chambre d'un pas précipité. Tous ceux qui se trouvaient au chevet de la morte levèrent en même temps leur visage pour le fixer.

    « Donnez-lui sa dernière joie de vous revoir », poursuivit la mère en s'apprêtant à enlever le linge blanc qui couvrait le visage de cette morte qui était sa femme.

 

    Alors soudain il laissa échapper des mots qui le surprirent li-même :

 

    « Non ! Attendez… Ne pourriez-vous pas me laisser la regarder seul ? … Me laisser seul avec elle dans cette chambre ? »

 

    Ces mots avaient produit une sorte d'émotion parmi les parents de sa femme. Ils quittèrent les lieux en faisant glisser délicatement les panneaux qui fermaient la pièce.

 

    Il enleva le linge blanc.

 

    Le visage sans vie de sa femme était figé avec une expression douloureuse. Entre les deux joues creusées, pointaient les dents dont la couleur s'était altérée. la chair de ses paupières s'était desséchée et collait sur les yeux. sur le front apparaissaient les nerfs, pétrifiés dans la souffrance.

 

    Il contempla ce visage hideux de la morte et resta un long moment immobile.

 

    Puis, avec ses deux mains tremblantes qu'il porta sur les lèvres de sa femme, il tenta de lui fermer la bouche. Les lèvres se fermèrent sous la pression, mais une fois les mains enlevées, s'ouvrirent de nouveau mollement. Il les ferma encore une fois. Elles s'ouvrirent de nouveau. Il répéta sa tentative encore et encore, maintes fois, et ce faisant, constata que les lignes dures autour de sa bouche avaient commencé à s'atténuer.

 

    Il sentit alors monter comme une passion au bout de ses doigts. Il voulut alors adoucir l'expression austère des nerfs de la morte et se mit à frotter son front de toutes ses forces. ses paumes étaient devenues brûlantes.

 

    Ainsi manipulé, le visage de la morte semblait avoir trouvé une nouvelle expression, et il resta de nouveau immobile à la contempler.

 

    « Vous devez être fatigué après votre voyage en train. Il faut que vous preniez votre déjeuner et que vous vous reposiez », dirent la mère et la sœur de sa femme en entrant dans la pièce.

 

    « Oh ! », fit la mère en fondant soudain en larmes :

 

    « L'âme humaine est redoutable. Elle n'avait pas réussi à mourir complètement avant de vous voir rentrer de voyage. C'est vraiment étrange ! Il a suffi que vous vous penchiez sur elle, pour que son visage change et retrouve toute sa sérénité. — Vous avez fait ce que vous pouviez, et il faut se consoler avec ça. C'est tout ce qu'elle souhaitait. »

 

    Les yeux de l'homme avaient quelque chose d'hagard, mais la sœur de sa femme posa sur eux un regard tellement beau, tellement limpide comme il n'en existe pas en ce monde. Puis elle s'effondra en sanglots.

Kawabata