« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

QUART DE MINUIT

 

 

 

 

 

 

 

pour Karel Jonckheere, i.m.

 

 

Dieu des mares, des marées, des mers et des marins,

relevez en douceur celui-là qui, tombé

dans le cordage des jours et des nuits sans sommeil,

a conduit sans faillir le bateau à son port

 

dans la baie des étoiles. Il a fini son quart

d'errance et de grisaille et repoussé l'assiette

du monde, rangé la terre, l'eau, le vent avec

l'irréductible poésie et le voici

 

ayant passé le cap de la désespérance,

bouche à bouche avec la tourbe de ses coupeurs

en Drente, et lavé du souci, de deux mille ans

d'attente et de mélancolie. Ecce homo,

 

il a franchi enfin le pas de l'horizon

et marche sur la mer, et ne s'étonne plus

de comprendre son chien qui trotte à ses côtés.

 

Lui qui veillait sans cesse à la proue de la terre

dort à présent de tout son long puisqu'il connaît

la rive où les aveugles voient, et qu'il ait dit

 

adieu cent fois dans ses poèmes n'empêche plus

qu'on lise : bonjour, et que la terre soit belle

et les vallées en paix pour chacun d'entre vous.

Guy Goffette / Le pêcheur d'eau