« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ROMULUS ET REMUS OU HOMMES NAVIGANT DANS LES BRAS MATERNELS

 

 

 

 

 

 

  Le navire (un cargo à vapeur) fait route vers sa destination. Des vents moyens à forts rendent plus fraîche la température de ce voyage d'été.

  Sur le pont, une femme assise sur un tabouret, un bébé dans les bras, rêve.

  Installé sur une chaise longue, un passager sensible et perspicace regarde, en deçà du bastingage, la jeune femme au bébé et, tout en les gardant dans son champ visuel, il peut voir, au-delà de la rambarde, la surface écumante et agitée de vaguelettes de la mer.

  Des dauphins luisants plongent et émergent de l'eau. Le navire est bercé par la mer, le bébé est bercé par le sein de sa mère. Le passager observe la mère et l'enfant et tantôt il s'inquiète, tantôt il se rassure.

  L'horizon s'élève. L'horizon descend. Et tantôt il monte très haut et domine tout, tantôt il se cache (un instant) sous la ligne du pont. Le vent siffle dans la mâture et s'accorde au grincement du bois.

  Le soleil brille.

  La mère rêve.

  Le bébé se met soudain à hurler et sa mère (une femme dolichocéphale) le soulève, se met à lui parler, mais sans arriver à le calmer.

  Le passager observe la jeune femme et l'enfant et un espoir naît en lui... Il y a des seins comme des oranges. Il y a des seins qui ressemblent à des poires. Il y a des seins qui ressemblent à des espoirs.

  Le nouveau né continue à hurler. Sa mère essaie en vain de le calmer.

  L'espoir du passager grandit.

  Le bébé hurle plus que jamais.

  Finalement, sa mère se décide. Elle sort en hâte un sein et offre le mamelon. 

Avec un désir immodéré, il s'en saisit et le tête avec volupté.

  Le passager se lève brusquement.

  L'horizon monte.

  L'horizon descend.

  Dans la mer, les dauphins bondissent comme des éclairs.

  Le bébé tête avec passion. La mère regarde l'enfant. Le vent chante et siffle. Avec une volupté indicible, le bébé tête.

  Lentement, le passager s'approche de la jeune femme par derrière. Puis, d'un seul coup, il se penche par dessus son épaule et sort l'autre sein.

  Un cri retentit. Personne ne l'entend. Le passager se penche encore

davantage et prend ce sein dans sa bouche. Un deuxième cri retentit, mais l'homme continue.

  Il n'y a pas d'autre plainte. Pourquoi y en aurait-il ? Le soleil brille. Les dauphins bondissent. La vague fait jaillir une écume de céruse humide. De quoi la jeune femme se plaindrait-elle ? Pourquoi protesterait-elle ? Trois être prennent du plaisir. Personne ne les voit.

  La mère s'abandonne et soupire.

  L'amour est si doux.

  La vie est si belle.

Andréas Embiricos