« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Jhang-le-Fou (Conte francique)

 

 

 

 

 

         Il était une fois un mendiant assis sur un trottoir de Thionville en train de grignoter son quignon de pain. un quignon tout mouillé, bien trempé dans du vin de Contz.

Le pauvre homme était assis juste devant la porte d'une auberge opulente. À l'intérieur, on faisait griller de la viande fraîche… pour les riches.

Rendez-vous compte : toute l'odeur de la viande grillée qui lui titillait les narines et lui, imperturbable, continuait à grignoter son croûton de pain !

         Mais tout à coup, la porte de l'auberge s'ouvrit, le tenancier du riche établissement sortit en courant et fonça sur le mendiant.

« Dis-donc, moins que rien, tu es un voleur : tu es en train de me voler l'odeur de ma viande grillée avec ton nez morveux… »

Aussitôt, l'aubergiste fit appeler la police. On empoigne fermement et sans ménagement le pauvre diable et on l'emporte de suite sur la Place du Marché où devait se tenir jugement. Les plus grands hommes de loi de la place de Thionville furent appelés illico, ainsi que les plus célèbres avocats.

Vous savez bien comment ces choses se passaient en ces temps-là. Une horde de badauds se rassemblait autour de la place. Les jugent tenaient leurs discours, les avocats faisaient leur chiqué et la foule braillait et riait.

Mais pour l'affaire présente, personne ne savait au juste si le mendiant était un voleur ou non — le fait de sentir quelque chose de bon qui repose dans l'assiette de quelqu'un d'autre, cela était-il condamnable et passible d'une accusation de vol ? — personne ne pouvait l'affirmer avec certitude, et tous, badauds et hommes de loi, étaient bien perplexes.

         Jusqu'à ce que soudain le Jhang, Jhang-le-Fou, arrive en sautillant du pont de Thionville. Il courut jusqu'à la Place du Marché, car tout le monde lui demandait de donner son opinion sur l'affaire.

Jhang-le-Fou écouta attentivement toute l'histoire, puis se gratta le béret, puis sourit et demanda :

« Est-ce qu'un de ces braves Messieurs pourrait me prêter un écu ? N'ayez crainte, je vous rendrai directement ce gros sou ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Un brave bourgeois posa un gros écu dans la main du Jhang. Et là, le Fou commença à frapper la grosse pièce contre le trottoir. Ça tintait et ça sonnait comme si l'on faisait résonner deux verres de cristal ensemble. Un joli son, que chaque oreille entendit. Et tous étaient étonnés. Ils ouvraient de grands yeux et attendaient.

         « Voilà - dit enfin Jhang-le-Fou - Aubergiste, il est bien vrai que le méchant mendiant vous a dérobé le fumet de votre jambon.

Mais maintenant tout est rentré dans l'ordre. L'affaire est close. Vous avez entendu l'écu tinter : eh bien, avec ce son, vous voilà remboursé !… »

Daniel Laumesfeld / Récits, chansons et poèmes franciques