« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

PSAUME DE LA MATURATION

 

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    Je n'ai pas trouvé la paix, dans ma jeunesse, auprès de celle qui s'offre sans angoisse, obéissant à un destin qui veut qu'elle se donne toute entière.

    Sans doute l'ai-je blessée, en lui demandant cela seulement qui à ces yeux est si pauvre chose : l'intelligence et l'amour des esprits inférieurs.

    Mais cette chose, je l'obtins; et alors, terriblement armé pour la solitude, je pris  congé de celle qui m'avait tout appris et qui ne pouvait plus me comprendre.

    Mais que je te perde, mon maître, si jamais parole imprudente échappe de mes lèvres à son adresse ! ou si jamais je relis sans déchirement de cœur ce que tu as écrit du doigt sur le sable !...

    Elle ne s'est trouvée sur mon chemin  que pour le sombre couronnement de sacrifice ; mais depuis ce jour, j'écoute ce que mon ombre conte aux orties, et toute pierre, dans le gave solitaire, à mon approche frissonne...

    Car c'est là la profondeur de la compagne de service d'être gardienne  aussi, pour nous qui ne sommes plus ni fils ni époux, de la clef du monde devenu muet.

    Elle détacha de sa ceinture — qu'elle porte sous le cœur — cette clef du premier jardin dont elle est toute l'ombre et toute la lumière mais où son amour n'entre plus, n'étant pas de commandement. 

    Et comme je la prenais de ses mains, elle leva vers moi un regard qui semblait porter tout le poids de l'innocence dont elle est accablée. 

     

 

    C'est ainsi que je pénétrai dans la grotte du secret langage; et ayant été saisi par la pierre et aspiré par le métal, je dus refaire les mille chemins de la captivité à la délivrance.

    Et me trouvant aux confins de la lumière, debout sur toutes les îles de la nuit, je répétais de naufrage en naufrage ce mot, le plus terrible de tous : ici.

 

    Mais un jour, dans ces hauteurs où tout devient un jeu, je soufflai au visage de mon dernier désir l;a bulle colorée de mon âme.

    Tu descendis alors, guéri au côté, aux pieds et aux mains, vêtu de je ne sais quel or fluide et joyeux, lavé de toute souillure par la femme.

    Et dans un rire de solaires légions, tu me marias à ta conscience et m'armas de la vue médiane.

    Et toute l'infintude de ce que je voyais était d'une seule pièce, et cette enfance du cyclope en moi répétait le nombre UN, et ne pouvait pas compter plus loin.

Et alors, tu m'élevas sur ton sein adoré, par l'espace scellé, intérieur, réel,

    Jusqu'aux belles portes de plomb de l'humilité, ta patrie et Bethléem de l'or,

     Et de là, au pays où l'amour boit doucement, comme un cheval blanc, aux sources de l'étendue et de la durée.

    Et toujours plus haut, jusqu'à cette voûte enfin où l'éternel instant

    Est mesuré à la courbe de projection de l'œuf

    Bruissant comme Raphaël et tout à coup, dans la rémission solaire,

    Muet comme la seconde naissance.

Oscar Milosz (Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz) / Derniers poèmes