« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

LE TOMBEAU DÉSIRÉ

 

 






C'est au milieu de l'obscur sentier d'un faubourg

qu'il faudra m'enterrer. Et que mon tombeau soit

l'endroit reculé propice aux rencontres.

          Que le garçon seul et désespéré

vienne en ses errances s'y masturber;

que l'amoureux sans chambre où infliger

à sa belle les derniers outrages l'amène

et la force et puis la viole sur ma tombe;

que l'inverti vienne à côté s'agenouiller

devant celui-là qui monnaie son sperme,

ou baisse son pantalon pour s'offrir,

ses mains prenant appui sur cette pierre.

Que des bandes de voyous y entraînent

la jeune fille qu'ils ont kidnappée

en la laissant prostrée et toute en sang.

Que les prostituées vulgaires, pouilleuses,

constellent la dalle d'humeurs glaireuses

après s'être vendues à de pauvres vieillards.

Que les enfants, qui viennent dans leurs jeux

s'amuser près de moi, sans marcher dans les coins

sur les étrons plus puants que la mort,

qui sont l'humaine trace des sentiers,

y découvrent, sans vraiment les comprendre,

les taches desséchées de ce qui fut violence

ou bien encore désir ou ce qu'on nomme vice,

qu'en riant ils les lavent de leur brûlante pisse

chuintant sur la pierre qui me recouvrira

- et reviennent un jour pour les recommencer.

Jorge de Sena / Traduit du Portugais par Michelle Giudicelli