« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

SERENA II

 

 

 

 

cette planète clonique

 

souffle saccadé, la chienne sombre dans un sommeil troublé,

elle est obèse, à demi morte, le reste à l'avenant,

écartez le pelage noir, la peau

est d'un bleu pastel ;

va, gronde et hurle dans les bois, réveille tous les oiseaux,

débusque les drôlesses hors des hautes fougères,

ce crépuscule, folle brebis qui se débat dans les buissons

bêlant pour qu'on l'ensanglante,

ce crapuleux silence

arrache-lui le cœur

 

elle tremble de nouveau dans ses rêves

revenue aux sombres jours d'antan, pantelante,

prisonnière des Pins à l'heure de sa souffrance,

la guenipe se convulse, elle pense qu'elle va mourir ;

la lumière faiblit, il est temps de s'étendre,

Clew Bay vasque de fleurs curcuma,

la brune grimpe Croagh Patrick en hindou pour dépiter un pèlerin

elle est prête, elle s'est éployée sur toutes les îles de gloire

qui remorquent maintenant hors la contrée condamnée,

avec le oh hisse et oh ! d'un équipage de cygnes,

ce crépuscule de guirlandes sabbatiques et leurs bancs d'algues tréssées ;

dans un trou de tourbière elle met bas ses petits,

les baleines dansent dans Blacksod Bay,

les asphodèles s'en viennent à la poursuite des pavois,

elle pense qu'elle va mourir, elle a honte

 

elle m'a emmené là-haut voir une cascade

d'où, comme feuilletons d'une enfance,

voyez Meath qui brille dans l'échancrure des collines,

trésor à jamais perdu des bouquets de mélèzes,

ruée des sentiers et des ruisseaux qui fuient vers la mer,

clochers en miniatures et puis le port

comme une femme qui s'apprête à protéger ses seins,

et elle m'a quitté

 

quelle qu'ait pu être au départ notre provende de panique

elle ne sera pas moindre lorsque nous reviendrons,

nulle perte de panique à prévoir entre un homme et son chien,

fut-il une chienne

 

toute détrempée une boîte de Jouvence de l'Abbé Soury

dénichée dans un cairn

c'est pis que rêve

folle rebelle la salope ne peut se calmer

cette planète clonique

tous ces fantômes dont l'image frissonne et se brouille

il est vain de fermer les yeux

tous les accords de la terre arpégés comme les fracasse un pianiste

 

les crapauds de nouveau en vadrouille

se faufilant vers leurs pièges

les contes de fées de Meath sont terminés

alors dis tes prières et va te coucher

avant que les réverbères commencent à chanter derrière les mélèzes,

tes prières

auprès de ces genoux de pierre

et puis bisous d'adieu sur les os

Samuel Beckett / Les Os d'Écho et autres précipités