« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

La Lecture

 

 




Lecteur, fantôme, trace, vapeur.

Pascal Quignard

 

 

 

 

I
 

C'est pur reflet dans les vitres d'en face

Que le soleil illumine le fond

De cette cour, chaque matin, et passe

A travers ma caverne de Platon.

 

 

Mais au printemps il se montre fugace,

Le soir, d'abord au coin d'une maison,

Puis, tout entier debout sur la terrasse,

Me salue et descend vers l'horizon.

 

 

Un peu plus tard, le rayon qui m'éclaire

Comme dans un sous­bois crépusculaire

N'est de nouveau que reflet d'un reflet

 

 

Répercuté de fenêtre en fenêtre,

Et je le vois doucement disparaître,

Bu par les mots des livres qu'il frôlait.

 

 

II
 

Et vous, soleils des feuilles repliées,

Quels univers illuminerez­vous

Quand nos langues seront tout oubliées,

Noir et muet remuement de cailloux

 

 

Telles ces voix qu'on avait suppliées

De nous répondre en lisant à genoux ?

Pages enfin comme republiées

Pour les seuls yeux que l'on croyait dissous

 

 

Mais qui déjà, par dessus notre épaule,

Regard et souffle ensemble qui nous frôlent,

Allaient scandant, sous le sens et le son,

 

 

Les vers des grands hymnes analphabètes

Ecrits pour la sagacité des bêtes,

Et ceux du vent qui n'a qu'une chanson.

 

Jacques Réda / Premier livre des reconnaissances