le monde change
Par domcorrieras, le mardi 22 mars 2011 - Poèmes & chansons - lien permanent
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tout se transfigure, tout est sacré,
chaque chambre est le centre du monde,
est la première nuit, le premier jour,
le monde naît lorsqu'elle et lui s'embrassent,
goutte de lumière aux entrailles transparentes
la chambre comme un fruit s'entrouvre
ou éclate comme un astre taciturne
et les lois rongées par les rats,
les grilles des banques et des prisons,
les grilles de papier, les fils de fer barbelés,
les timbres, les épines, les piquants,
le sermon monocorde des armes,
le scorpion mielleux à barrette,
le tigre à gibus, président
du Club Végétarien et de la Croix Rouge,
l'âne pédagogue, le crocodile
jouant au rédempteur, le père des peuples,
le Chef, le requin, l'architecte
de l'avenir, le cochon en uniforme,
le fils préféré de l'Église
qui lave sa noire denture
avec l'eau bénite et prend des leçons
d'anglais et de démocratie, les parois
invisibles, les masques pourris
qui séparent l'homme des hommes,
l'homme de lui-même,
s'écroulent
pendant un instant immense et nous entrevoyons
notre unité perdue, la détresse
d'être, la gloire d'être encore,
le partage du pain, le soleil, la mort,
la stupeur oubliée de vivre;
aimer est combattre, le monde change
quand deux amants s'embrassent, les désirs s'incarnent,
la pensée s'incarne, des ailes croissent
sur les épaules de l'esclave, le monde
est réel et tangible, le vin est vin,
le pain retrouve sa saveur, l'eau est de l'eau;
aimer est combattre, ouvrir des portes,
cesser d'être un fantôme avec un matricule
condamné à la chaîne perpétuelle
par un maître sans visage;
le monde change
quand deux êtres se regardent et se reconnaissent,
aimer est se dépouiller de son nom :
« permets que je sois ta putain », ce sont les paroles
d'Héloïse, mais il céda aux lois,
la prit pour épouse et comme récompense
il fut châtré;
mieux vaut le crime,
les amants qui se suicident, l'inceste
du frère et de la sœur, miroirs
amoureux de leur ressemblance
mieux vaut manger le pain empoisonné,
l'adultère dans des lits de cendre,
les amours féroces, le délire,
son lierre vénéneux, le sodomite
qui, comme un œillet à la boutonnière
porte un crachat, mieux vaut être lapidé
sur les places que de tourner la noria
qui exprime la substance de la vie,
change l'éternité en heures creuses,
les minutes en prisons, le temps
en pièces de billon et en chiasse abstraite;
mieux vaut la chasteté, fleur invisible
qui se balance sur les tiges du silence,
le difficile diamant des saints
qui filtre les désirs, rassasie le temps,
noces de la quiétude et du mouvement,
la solitude chante dans sa corolle,
chaque heure est un pétale de cristal,
le monde se dépouille de ses masques,
et en son centre, vibrante transparence,
ce que nous appelons Dieu, l'être sans nom,
se contemple dans le néant, l'être sans visage
émerge de lui-même, soleil des soleils,
plénitude de présences et de noms;
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Octavio Paz / Pierre de Soleil (extrait).
Traduction de Benjamin Perret.