« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

ÉCRIT SUR LA PORTE

 

 





I

J'ai une peau couleur de tabac rouge ou de mulet,

j'ai un chapeau en moelle de sureau couvert de toile blanche.

Mon orgueil est que ma fille soit très-belle quand elle commande aux femmes noires;
ma joie, quelle découvre un bras très-blanc parmi ses poules noires ;

et qu'elle n'ait point honte de ma joue rude sous le poil, quand je rentre boueux.

 

Et d'abord je lui donne mon fouet, ma gourde et mon chapeau.

En souriant elle m'acquitte de ma face ruisselante; et porte à son visage mes mains grasses d'avoir

éprouvé l'amande de kako, la graine de café.

 

Et puis elle m'apporte un mouchoir de tête bruissant; et ma robe de laine; de l'eau pure pour rincer mes dents de silencieux :

et l'eau de ma cuvette est là; et j'entends l'eau du bassin dans la case-à-eau.

 

Un homme est dur, sa fille est douce. Qu'elle se tienne toujours

à son retour sur la plus haute marche de la maison blanche,

et faisant grâce à son cheval de l'étreinte des genoux,

il oubliera la fièvre qui tire toute la peau du visage en dedans.

 

J'aime encore mes chiens, l'appel de mon plus fin cheval,

et voir au bout de l'allée droite mon chat sortir de la maison en compagnie de la guenon...

toutes choses suffisantes pour n'envier pas les voiles des voiliers

que j'aperçois à la hauteur du toit de tôle sur la mer comme un ciel.

Saint-John Perse / œuvre poétique / Éloges