« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Une chanson

 

 





Quatre jours bloqué dans ma maison par une tempête de neige. On ne voit plus la boîte aux lettres au chemin et le lac, que la poudrerie harcèle, veille sous la glace. Grands vents et bourrasques comme des poignées de sel qu'on lance dans les vitres, collisions de nuages presque à ras terre, crissements sur le toit, les fils sifflent, le diable essaie d'effrayer les bêtes dans les étables. On guette le bleu dans le ciel. C'est agréable d'avoir un trou à la chaleur. On est comme le thé dans la théière et on pense aux perdus qui poussent le vent dehors.

Et puis la charrue à neige a clignoté son œil rouge de danger là-bas et s'est arrêtée devant ma porte.

Trois hommes en sont sortis, fourbus, fatigués, blêmes ; ils déblaient les routes depuis quarante heures sans arrêt.

— Une chanson, s'il vous plaît.

Casquette pliée sur les genoux et leurs grosses mains par dessus, ils ont écouté puis sont repartis. J'ai été si heureux que je suis allé me rouler de joie dans le vent. Je crois que je l'ai même remercié.

Felix Leclerc / Le calepin d'un flâneur (extrait)