« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Vous savez qu'il joue de l'accordéon ?

 

 





« Dans tous les domai­nes où pré­va­laient autre­fois l’intel­li­gence, le bon sens, l’esprit cri­ti­que et cons­truc­teur, c’est par quel­que sin­gu­la­rité faci­le­ment acces­si­ble à la sen­si­bi­lité bour­geoise qu’un homme se fait main­te­nant appré­cier. Dans son milieu, on ne juge plus guère un indi­vidu sur ses capa­ci­tés pro­fes­sion­nel­les, sur ses talents d’orga­ni­sa­teur ou sur ses ver­tus fami­lia­les, mais sur des nuan­ces de son tem­pé­ra­ment, des apti­tu­des mineu­res et exqui­ses, des pré­fé­ren­ces artis­ti­ques. On le clas­sera avan­ta­geu­se­ment parmi ses pairs s’il a en tête quel­que marotte lit­té­raire, si on lui con­naît des goûts déli­cats {…}. Qu’un géné­ral en chef ou un minis­tre soit médio­cre dans ses fonc­tions, on ne lui en tien­dra pas rigueur. "Un être inouï, for­mi­da­ble, dira-t-on. Vous savez qu’il joue de l’accor­déon ?" Et sur cela seu­le­ment qu’il joue de l’accor­déon ou qu’il prend de la coco ou qu’il est inverti, on le tien­dra pour un homme de génie. Mais d’un autre minis­tre ayant tous les talents et tou­tes les ver­tus con­ve­na­bles dans son emploi, on dira en haus­sant les épau­les qu’il est "un con et un emmer­deur" s’il n’a pas en lui ce coin de maré­cage poé­ti­que qui fait aujourd’hui le prix d’un homme. Pour un bour­geois qui veut être con­si­déré dans son monde, la grande affaire est de pas­ser pour un ori­gi­nal. »

Mar­cel Aymé / Le con­fort intel­lec­tuel