C'était fini
Par domcorrieras, le mardi 24 mars 2009 - Proses & autres textes - lien permanent
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C’était fini. Il n’avait plus de tronc. Il était parti, il s’était détaché de lui, il l’avait quitté. Il lui semblait que son esprit planait au-dessus d’une matière en fusion animée de sa vie propre. C’était comme si la guillotine lui avait coupé le cou. Sa tête reposait au creux de l’oreiller, tandis que son corps, appartenait à quelqu’un d’autre. La maladie avait dévoré son corps, tout son corps, s’en était nourrie, fortifiée et avait reproduit sa brûlante image. Il reconnaissait le fin duvet de ses mains, ses ongles, telle ou telle cicatrice, ses doigts de pieds, la petite protubérance de sa hanche droite. Tout cela était une imitation parfaite, mais ce n’était pas lui…
Je suis mort, se dit-il. Et cependant je continue à vivre. Mon corps est mort, il est tout entier livré à la maladie et personne ne le saura jamais. Je vais me rétablir, j’irai me promener, mais ce n’est pas moi qui me promènerai, quelque chose se promènera à ma place, quelque chose de si foncièrement mauvais, de si absolument affreux qu’il est difficile d’admettre son existence ou même de la concevoir. Cette chose ira s’acheter des chaussures, boira l’eau du robinet et, sans doute, un jour, se mariera. Elle fera beaucoup plus de mal qu’il n’en a encore jamais été fait au monde.
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Ray Bradbury / Un remède à la mélancolie / Le rêve de fièvre