« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

C'était fini

 

 





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          C’était fini. Il n’avait plus de tronc. Il était parti, il s’était déta­ché de lui, il l’avait quitté. Il lui sem­blait que son esprit pla­nait au-des­sus d’une matière en fusion ani­mée de sa vie pro­pre. C’était comme si la guillo­tine lui avait coupé le cou. Sa tête repo­sait au creux de l’oreiller, tan­dis que son corps, appar­te­nait à quelqu’un d’autre. La mala­die avait dévoré son corps, tout son corps, s’en était nour­rie, for­ti­fiée et avait repro­duit sa brû­lante image. Il recon­nais­sait le fin duvet de ses mains, ses ongles, telle ou telle cica­trice, ses doigts de pieds, la petite pro­tu­bé­rance de sa han­che droite. Tout cela était une imi­ta­tion par­faite, mais ce n’était pas lui…

          Je suis mort, se dit-il. Et cepen­dant je con­ti­nue à vivre. Mon corps est mort, il est tout entier livré à la mala­die et per­sonne ne le saura jamais. Je vais me réta­blir, j’irai me pro­me­ner, mais ce n’est pas moi qui me pro­mè­ne­rai, quel­que chose se pro­mè­nera à ma place, quel­que chose de si fon­ciè­re­ment mau­vais, de si abso­lu­ment affreux qu’il est dif­fi­cile d’admet­tre son exis­tence ou même de la con­ce­voir. Cette chose ira s’ache­ter des chaus­su­res, boira l’eau du robi­net et, sans doute, un jour, se mariera. Elle fera beau­coup plus de mal qu’il n’en a encore jamais été fait au monde.

 

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Ray Brad­bury / Un remède à la mélan­co­lie / Le rêve de fiè­vre