« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Et l'animal en prit tant de force

 

 




IV

 

 

Ô c’est lui, l’ani­mal qui n’existe pas.

Eux qui n’en savaient rien, n’importe — sa démar­che,

son main­tien, son enco­lure, et sa lumière

aussi du calme regard —, ils l’ont aimé. 

 

Il n’était pas, non. Mais parce qu’ils l’aimaient,

il y eut un ani­mal pur. Dans l’espace,

réservé et clair, qu’ils lui lais­saient tou­jours,

tout à l’aise il levait la tête et sans pres­que

 

besoin d’être. Ils le nour­ris­saient non de grain,

mais de la pos­si­bi­lité, d’être seule,

qu’il soit. Et l’ani­mal en prit tant de force

 

qu’une corne à son front jaillit. Uni­corne.

D’une jeune vierge il s’appro­cha, tout blanc —

et fut en son miroir d’argent et en elle.

Rai­ner Maria Rilke / Les son­nets à Orphée