« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

... en attendant les gardénias promis

 

 

 

 

.../…

 

         Il se pour­rait que le bruit imprévu, toc-toc, t’éffraie sou­dain. La ter­ri­ble sen­sa­tion de pen­ser à un hôte imprévu, le pres­sen­ti­ment de l’arri­vée d’un sou­ve­nir enfoui il y a long­temps et la pos­si­bi­lité que tu lâches le vase de cris­tal que tu as cer­tai­ne­ment entre tes mains en atten­dant les gar­dé­nias pro­mis.

         Il se pour­rait aussi que ma main prenne une force infi­nie et au deuxième toc tra­verse la porte avec un bruit d’éclats de bois qui tom­bent sur le lino­léum, ou sim­ple­ment qu’à cause des mal­fa­çons du cons­truc­teur la porte s’effon­dre au milieu des pro­tes­ta­tions de tes voi­sins qui sor­ti­raient dans le cou­loir en pyja­mas soi­gnés avec des récri­mi­na­tions qui me rap­pel­le­raient que c’est l’heure du repos pour les gens bien.

         Au milieu de ces réflexions ma main ter­ri­ble, se tord d’incer­ti­tude, il me sem­ble sen­tir dans mon poi­gnet comme une gri­mace d’effroi qui est au fond de la peur et de la peine pour moi-même, car cela arrive cha­que fois que j’essaie de son­ner à ta porte.

         A­lors les gar­de­nias se fanent en quel­ques secon­des dans leur embal­lage trans­pa­rent et quand je passe le seuil du bâti­ment, cette bou­che me cra­che vers la soli­tude humide de la rue, je m’en vais la tête dans les épau­les éprou­vant une fois encore la honte de la défaite, et je peux t’enten­dre net­te­ment, là-haut, pleu­rer les gar­dé­nias absents. 

 

.../...

Luis Sepúlveda / Ren­dez-vous d’amour dans un pays en guerre / En haut quelqu’un attend les gar­dé­nias