... en attendant les gardénias promis
Par domcorrieras, le samedi 5 juillet 2008 - Proses & autres textes - lien permanent
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Il se pourrait que le bruit imprévu, toc-toc, t’éffraie soudain. La terrible sensation de penser à un hôte imprévu, le pressentiment de l’arrivée d’un souvenir enfoui il y a longtemps et la possibilité que tu lâches le vase de cristal que tu as certainement entre tes mains en attendant les gardénias promis.
Il se pourrait aussi que ma main prenne une force infinie et au deuxième toc traverse la porte avec un bruit d’éclats de bois qui tombent sur le linoléum, ou simplement qu’à cause des malfaçons du constructeur la porte s’effondre au milieu des protestations de tes voisins qui sortiraient dans le couloir en pyjamas soignés avec des récriminations qui me rappelleraient que c’est l’heure du repos pour les gens bien.
Au milieu de ces réflexions ma main terrible, se tord d’incertitude, il me semble sentir dans mon poignet comme une grimace d’effroi qui est au fond de la peur et de la peine pour moi-même, car cela arrive chaque fois que j’essaie de sonner à ta porte.
Alors les gardenias se fanent en quelques secondes dans leur emballage transparent et quand je passe le seuil du bâtiment, cette bouche me crache vers la solitude humide de la rue, je m’en vais la tête dans les épaules éprouvant une fois encore la honte de la défaite, et je peux t’entendre nettement, là-haut, pleurer les gardénias absents.
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Luis Sepúlveda / Rendez-vous d’amour dans un pays en guerre / En haut quelqu’un attend les gardénias