« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Un roman sen­ti­men­tal

 

 



 

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     O­dile est, pour sa part, déjà si trau­ma­ti­sée qu’elle avoue par des pleurs pitoya­bles sa totale déroute. Elle abaisse les bras et caresse de ses deux menot­tes crain­ti­ves la main cruelle qui lui empri­sonne son pau­vre minet comme entre des ser­res de rapace. Elle bal­bu­tie en reni­flant de gros­ses lar­mes : « Je vous demande par­don, Maî­tresse, je vous demande par­don… » Quand le troi­sième coup de fouet la frappe, elle s’effon­dre sur elle-même dans un hur­le­ment, embras­sant ensuite les pieds nus de Gigi qui a enfin lâché prise. Assez satis­faite du résul­tat dépas­sant tou­tes ses espé­ran­ces, celle-ci ébou­riffe d’un orteil négli­gent la che­ve­lure de son esclave gisant sur le ven­tre, tra­ver­sée de spas­mes qui la font fré­mir fai­ble­ment, vain­cue par deux fois et juste bonne à jeter aux chiens de l’empe­reur sadi­que. En revan­che, les trois lignes rouge vif qui s’entre­croi­sent sur les deux glo­bes au déli­cat modelé à fos­sette, sans avoir écor­ché le tis­sus soyeux, font res­plen­dir sa ten­dre croupe d’un éclat aussi sen­suel que déco­ra­tif, infi­ni­ment plus émou­vante que les faux cin­glons du maquillage. la maî­tresse se pen­che sur elles, pour en effleu­rer le des­sin d’un index pos­ses­sif, affir­mant son pou­voir de faire encore plus mal si ça l’amuse. L’épi­derme, aux endroits les plus atteints, est devenu si sen­si­ble que les déli­cieu­ses peti­tes fes­ses en sont par­cou­rues de fris­sons.

 

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Alain Robe-Grillet / Un roman sen­ti­men­tal - (extrait - 76)